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a suscité ce dernier grief ? En réalité, ce sont là prétextes au service de l’ « occasion. » Observations du chargé d’affaires d’Allemagne à Tanger à son collègue français (février 4905), circulaires du chancelier, controverses pour justifier la réunion d’une conférence, prétextes et rien que prétextes ! La vérité, c’est dans les propos menaçans du prince Henckel de Donnersmarck[1], dans les toasts impériaux sur « la poudre sèche et l’épée aiguisée[2], » dans les discours ambigus et menaçans du chancelier[3] qu’il la faut chercher. Il s’agit, et rien de plus, de trouver dans l’humiliation de la France la preuve de l’hégémonie allemande.

Tout d’abord, l’audacieuse offensive du chancelier obtient un plein succès. Il réclame la conférence, non pour ce qu’elle fera, mais pour ce qu’elle signifiera, à savoir la revision par l'Europe, à l’appel de l’Allemagne, de la politique française. Sur sa route, il rencontre M. Delcassé, qui n’accepte pas cette diminution. En six semaines, M. Delcassé est brisé. C’est le début d’un triomphe. L’Empereur le souligne en conférant au chancelier le titre de prince. M. Rouvier s’installe au quai d’Orsay ; M. de Bülow ne désarme pas. S’il obéissait, à ce moment, aux maximes bismarckiennes, il pourrait, en renonçant à la conférence, obtenir de la France un prix considérable. Mais emporté par la passion des représailles, il passe à côté de la politique réaliste. Sourd à nos offres, il maintient son exigence initiale, son exigence unique : la conférence, — la conférencz, solennel témoignage de la puissance allemande. Il tient à ce témoignage public avec tant de force qu’il consent, pour se l’assurer, aux deux accords franco-allemands des 8 juillet et 28 septembre 1905, qui, quant au fond des choses, sont meilleurs pour nous que pour l’Allemagne. Pourvu que la conférence se réunisse, il souscrit à la reconnaissance de notre « intérêt spécial, » qui deviendra, devant les plénipotentiaires, l’arme de nos représentans. Qu’importe, puisque la France, en allant à Algésiras, ressuscite, pour le successeur de Bismarck, les jours glorieux du Congrès de Berlin ?

Au début de 1906, deux semaines avant l’ouverture de la conférence, le prince de Bülow peut se flatter d’avoir ressaisi l’avan-

  1. Le Gaulois, 25 juin 1903.
  2. Discours impérial prononcé à Berlin le 26 octobre 1905.
  3. Reichstag, 16 et 20 mars 1905.