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LE PRINCE DE BÜLOW.

niait l’isolement : « M. Bebel, déclarait-il, paraît redouter que nous ne marchions au-devant d’une solitude complète. Je lui réponds que nous nous trouvons en de solides liens d’alliance avec deux grandes puissances, en relations amicales avec les cinq autres[1]. » En 1905, pour les besoins de sa cause, il dénonce la tentative d’encercler l’Empire allemand, et ce grief devient la base de la « riposte nécessaire[2]. » Nul ne prétendra d’ailleurs que le chancelier ne pût être sincère en attribuant à l’Angleterre une hostilité raisonnée à l’égard de l’Allemagne et en essayant de la briser avant terme. En lui la conviction s’associe au calcul, le souci de l’intérêt public à celui de sa situation propre pour le poussera l’action. Au début de 1905, son parti est pris. Il ne lui manque qu’une occasion. Le Maroc la lui fournit.

Ce n’est pas ici le lieu de raconter la crise marocaine et de discuter les griefs réciproques : encore convient-il cependant de souligner, par la fragilité de ceux que l’Allemagne invoquait, l’objet réel de sa politique. Metteur en scène éminent, M. de Bülow prépare son dossier ; mais son habileté, pour grande qu’elle soit, ne suffit pas à en cacher le vide. Il se plaint que la France ne lui ait pas communiqué le traité franco-anglais de 1904 ? Mais ce traité a été publié, et le prince de Radolin en a connu les clauses quinze jours avant sa signature[3]. Pourquoi d’ailleurs avoir attendu dix mois pour se plaindre du défaut de notification ? Le chancelier s’élève ensuite contre l’atteinte que la politique marocaine de la France porte à la Convention de Madrid de 1880 signée par l’Allemagne ; mais c’est un juriste allemand, M. Neumeyer, professeur à l’Université de Kiel, qui se charge de lui prouver qu’entre l’une et l’autre aucune contradiction n’existe, parce qu’entre l’une et l’autre il n’y a aucun rapport d’identité[4]. Le chancelier dénonce enfin la « tunisification » du Maroc, un plan de conquête, de protectorat, de monopole économique[5] ; mais précisément nous avons toujours répudié ce dessein et ici encore pourquoi, si l’on devait nous l’imputer, avoir laissé passer tant de mois depuis la signature du traité qui

  1. Reichstag, 14 avril 1904.
  2. Déclaration du prince de Bülow, le Temps, 5 octobre 1905.
  3. Livre Jaune, 1901-05.
  4. Le Temps, 27 mars 1906.
  5. Livre Blanc, 1905.