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LE PRINCE DE BÜLOW.

L’Allemagne n’a pas de pignon sur la Méditerranée[1]. » Donc qu’importe ? Après le traité franco-anglais, coïncidant avec le voyage à Rome de M. Loubet, le point de vue change. Les deux réconciliations rapprochées l’une de l’autre se complètent et prennent une allure de coalition. L’Angleterre n’a-t-elle pas de tout temps entretenu avec l’Italie des relations intimes ? N’est-ce pas Depretis qui disait : « Notre situation est assurée sur terre et sur mer[2] ? » N’est-ce pas le marquis di Rudini qui précisait : « Je n’aperçois point de questions sur lesquelles les vues de l’Italie ne soient conformes à celles de l’Angleterre, attendu que leurs intérêts sont identiques[3] ? » N’est-ce pas le duc de Sermoneta qui proclamait « l’alliance sentimentale des deux pays ? » Angleterre, France, Italie, ne seraient-ce pas les trois termes d’un concert offensif, prêt à profiter des difficultés coloniales et financières de l’Allemagne, pour l’isoler et l’encercler ?

Six mois passent, et l’accord franco-espagnol est conclu. À Berlin, l’impression de défiance augmente. L’Allemagne, vingt ans durant, s’est crue sûre de l’Espagne. Le second mariage d’Alphonse XII avec une princesse autrichienne, ses visites en Allemagne, la régence de la reine Christine, l’échec des premiers pourparlers franco-espagnols relatifs au Maroc ont créé et fortifié cette confiance. Quel est donc le sens de cet accord, corollaire de l’accord franco-anglais, par où s’accusent des tendances nouvelles que préciseront bientôt les fiançailles d’Alphonse XIII avec une princesse anglaise ? Cet accord, notons-le, reste secret. Le texte publié démontre l’existence d’une mystérieuse annexe. Quelle en est la portée ? N’y a-t-il point dans ces engagemens successifs plus d’arrière-pensées européennes que de projets africains ? Le comte de Bülow, si accoutumé qu’il soit à l’optimisme, commence à s’inquiéter. Même si cette inquiétude n’était pas spontanée, elle naîtrait du souci de ne pas prêter le flanc aux attaques des pangermanistes et de garder la faveur impériale. M. de Holstein est là d’ailleurs pour l’entretenir. Les discours rassurans d’avril 1904, s’ils ne sont un remords, sont un regret déjà. La « conjuration » formée par Edouard VII prend corps dans les imaginations allemandes. Elle trouve accès dans le clair esprit du chancelier. Et voici que se précise la pensée

  1. Déclaration du comte de Bülow, le Figaro, 30 mai 1902.
  2. Chambre des députés, 17 février 1887.
  3. Ibid., 14 juin 1891.