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peut pas souhaiter que se renouvellent les événemens des dernières semaines. Depuis longtemps, il y avait désaccord et contradiction entre lui et le pays. Le peuple, la presse, le Parlement ont été unanimes à dire : « Cela ne peut pas durer. » Le ministère prussien, le Conseil fédéral, la Commission fédérale des Affaires étrangères ont estimé, comme le chancelier, que certaines manifestations du pouvoir personnel étaient incompatibles avec l’intérêt du pays. L’Empereur l’a reconnu. Merci à l’Empereur.

Jamais remontrance aussi rude n’avait été adressée à prince plus autoritaire. En se décidant à la formuler, M. de Bülow n’en avait certes pas méconnu les risques. S’il avait passé outre, c’est sans doute que, suivant sa propre déclaration, il jugeait nécessaire d’apaiser le pays. Une fois de plus, il agissait donc en ministre parlementaire. Une fois de plus, il s’éloignait de sa maxime d’autrefois : « Nous n’avons pas un vrai parlementarisme, et c’est un grand bonheur. » Le temps n’était plus où il disait : « Le droit d’initiative qui appartient à l’Empereur ne sera limité, ne peut être limité par aucun chancelier. Cela ne répondrait ni aux tendances du peuple allemand, ni à ses intérêts. Le peuple allemand ne veut pas d’une ombre d’empereur. Il veut un empereur en chair et en os. Les ombres d’empereur ont fait assez de mal à l’Empire. » Les événemens expliquaient ce changement. Mais les institutions, autant que les événemens, le déterminaient. Aux termes de la Constitution allemande, l’Empereur a des droits à peu près illimités. Cette absence de limite était sans péril, quand l’Empereur était Guillaume Ier, et le chancelier, Bismarck. La Constitution de l’Empire était un vêtement fait à leur taille. Depuis lors, tout a changé. L’absolutisme impérial, peu gênant pour le chancelier avec un empereur effacé, devient un danger quotidien avec un empereur autoritaire. Bismarck avait fait Guillaume Ier. C’est Guillaume II qui a fait le prince de Bülow, comme il avait fait le comte de Caprivi, — comme il avait défait Bismarck. Peut-on s’étonner dans ces conditions que le souverain empiète sur les attributions de son délégué, alors surtout que ce délégué n’est ni retenu, ni protégé par une responsabilité parlementaire ?

Ce défaut d’harmonie et d’équilibre entre les personnes et les choses, les tempéramens et les textes, venait, en éclatant, de compliquer encore la situation. Le prince de Bülow eût dit