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était convenu de maintenir dans l’ile jusqu’au moment où son sort définitif serait réglé. On a vu dans le fait, à Constantinople, une véritable provocation, et l’opinion publique, qui était montée depuis quelques jours a un très haut degré d’exaltation, est arrivée d’un seul coupa son paroxysme. Le gouvernement a été littéralement débordé. On lui a reproché de n’avoir pas montré une fermeté suffisante dans la question crétoise ; les faits semblaient justifier cette accusation ; l’indignation était générale, et d’un moment à l’autre, elle pouvait tout entraîner. Il n’apparaît pas que les autres gouvernemens européens se soient encore faits à l’idée que le gouvernement ottoman est devenu un gouvernement d’opinion au même titre qu’eux, et même plus sérieusement que quelques-uns d’entre eux. Ils continuent de traiter machinalement la Turquie comme si elle était encore sous la main toute-puissante d’Abdul-Hamid, alors qu’Abdul-Hamid était lui-même craintif et docile sous la main toute-puissante de l’Europe. Ils ont bruyamment applaudi à la révolution faite, mais ils semblent chercher à échapper à ses suites, soit de parti pris, soit par habitude. On ne peut pourtant pas traiter la Turquie d’aujourd’hui comme celle d’hier. Le gouvernement ottoman ne le supporterait pas, pour une excellente raison : c’est qu’il serait renversé. Ses droits sur la Crète sont d’ailleurs incontestables. Nous ne disons pas qu’il n’y renoncera pas un jour ; nous espérons même qu’il le fera à la suite d’une transaction honorable pour toutes les parties en cause ; mais ce moment n’est pas venu, et c’est l’éloigner beaucoup que de choquer le patriotisme ottoman en pleine effervescence par un acte aussi inconsidéré que celui de la Canée. Il est probable que les puissances laisseraient faire les Crétois et qu’elles fermeraient les yeux sur leurs empiétemens, si le gouvernement ottoman n’était pas là, exaspéré et grondant ; mais, comme il faut tenir compte, aussi, du gouvernement ottoman qui menace de tout casser, les puissances se retournent contre les Crétois, leur font de gros yeux, leur parlent enfin avec fermeté. Elles auraient pu, avec une énergie infiniment moindre, atteindre il y a quelques jours les résultats qu’elles poursuivent. Mais elles donnent l’impression fâcheuse d’être à la merci des événemens.

La Porte, à son tour, a commis une faute. Tout récemment encore, elle refusait de faire entrer la Grèce dans une négociation quelconque au sujet de la Crète : il n’y avait pour elle, il ne pouvait y avoir rien de commun entre les deux pays. Au surplus, elle rendait parfaitement justice à la correction du gouvernement hellénique. Le changement de ministère qui s’est produit à Athènes et qui aurait pu, d’après