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manifester une situation nouvelle dont, il y a quelques années à peine, la réalisation semblait impossible, même à des esprits qui ne sont pas naturellement enclins au scepticisme. La rivalité de la Russie et de l’Angleterre avait pris, à travers la plus grande partie du siècle dernier, la consistance d’une tradition. Mais tout change avec le temps. Les intérêts se modifient, se déplacent, se mêlent à d’autres dans des proportions différentes. Comment la création et le développement prodigieux d’un pays comme l’Allemagne n’auraient-ils pas amené quelques transformations dans le monde ? Il y a là un fait contre lequel il est inutile de se rebeller, dont il faut au contraire s’accommoder, mais qui doit inévitablement faire naître de nouvelles combinaisons politiques. L’Angleterre n’a pas toujours été autant qu’on l’a dit un pays de prévision ; elle l’a bien prouvé en 1870 ; mais elle est un pays de réflexion profonde et de décision rapide en face des événemens accomplis, ou en train de s’accomplir. Aussi longtemps que les progrès de l’Allemagne n’ont intéressé que l’Europe continentale, elle en a pris son parti, ou a même cru y trouver son compte ; mais le jour est venu où l’Allemagne s’est qualifiée elle-même de puissance mondiale et où l’empereur Guillaume a déclaré que son avenir était sur les mers. La hâte fiévreuse qu’elle a mise à développer sa puissance navale a bien montré qu’il y avait chez elle un plan et une volonté arrêtés. Au surplus, l’avenir devient incertain pour tous. Les transformations industrielles qui ont rendu plus faciles et plus rapides les voies maritimes, semblent devoir ouvrir demain des voies aériennes, des entreprises indéterminées, et l’Allemagne entend ne rester en arrière de personne dans le champ illimité où s’exerce le génie humain. Rien de plus légitime, et nul n’a le droit de s’en plaindre ; mais chacun a le devoir de se prémunir contre les conséquences possibles, et c’est ce qu’a fait l’Angleterre. Elle est entrée, on peut le dire, dans une période nouvelle de son histoire. La nécessité de développer ses armemens est apparue à ses yeux avec force ; elle a senti en même temps le besoin d’avoir sur le continent des amis à côté de ses rivaux. L’Angleterre est un pays trop pratique pour ne pas céder au temps sans obstination : elle s’est d’abord rapprochée de la France, ce qui était relativement aisé, puis de la Russie, ce qui semblait l’être moins. La diplomatie française a certainement contribué à ce dernier rapprochement ; toutefois, qu’on ne s’y trompe pas, la diplomatie n’est efficace que lorsqu’elle agit dans le sens où les choses tendent naturellement et où la destinée les pousse. Elle supprime alors les obstacles ou les tourne ; elle facilite et accélère l’accomplissement