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chaque fois avec un sentiment de sincère plaisir, a-t-il dit, que j’aborde les côtes de France. Le souvenir de mes précédens séjours dans votre beau pays reste gravé dans ma mémoire. Outre les chaleureuses sympathies que je nourris personnellement à l’égard de la France, je demeure comme vous, monsieur le Président, fermement convaincu que l’alliance entre nos deux pays constitue une précieuse garantie pour la paix générale, et que les liens d’étroite amitié entre la Russie et la France continueront, dans l’avenir comme dans le passé, de faire sentir leurs bienfaisans effets. Si, au camp de Bétheny, il m’a été donné d’admirer l’armée française, j’éprouve aujourd’hui une joie réelle de pouvoir rendre hommage à la superbe flotte dont la revue, à laquelle je viens d’assister, m’a vivement impressionné. » Ce langage n’admet pas deux interprétations différentes. L’alliance de la Russie et de la France reste donc, pour chacun des deux pays, le fondement de sa politique, et leur amitié mutuelle fait de cette alliance quelque chose de plus qu’un acte de raison. « Animé, a dit l’Empereur, de ces sentimens de cordialité et de constance inaltérable, partagés par la Russie entière, je lève mon verre, etc. » Le rappel des visites passées, le souvenir donné à l’armée française, l’éloge accordé à notre flotte que nous avons eu le tort de trop dénigrer ces derniers temps, la présence de l’Impératrice et des enfans impériaux, tout s’accordait pour donner à cette belle fête, en la rattachant à celles d’autrefois, le caractère de continuité qui fait la force d’une politique : on y reconnaissait une volonté réfléchie et suivie dont la manifestation s’enveloppait d’une grâce familiale. Nous garderons le souvenir de l’entrevue de Cherbourg.

Si l’Empereur a pu dire que la Russie entière pensait et sentait comme lui, la France entière pense et sent comme M. le Président de la République. On ne saurait, en effet, contester les services que l’alliance franco-russe a rendus, non seulement aux deux pays qui l’ont contractée, mais à l’Europe. Qu’elle ait été une garantie de paix, l’événement l’a prouvé. Cependant, il faut être juste pour la Triple Alliance ; elle n’a pas été faite en vue de la guerre, et elle aussi peut invoquer l’épreuve du temps pour affirmer qu’elle n’a pas nui au maintien de la paix. En effet, la Triple Alliance a eu pour but de garantira l’Allemagne des conquêtes qui lui paraissaient suffisantes, et non pas de lui en procurer de nouvelles. L’histoire dira sans doute que Bismarck, après avoir osé et risqué tout ce que l’audace humaine, accompagnée de prévoyance et de calcul, peut oser et risquer ; n’a eu d’autre préoccupation que d’étayer solidement l’édifice