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réalisme du premier chancelier ; si elle s’était, en un mot, résolue à consolider par un équilibre durable le prestige que lui avait valu une hégémonie nécessairement passagère elle eût pu, depuis longtemps, négocier cet accord et compter sur le concours de la France pour le maintien d’une paix qui ne sera durable que si elle repose, pour les deux pays, sur des conditions d’égalité.

Après le but atteint, il serait vain de reporter nos regards vers les voies plus directes qui eussent dû nous y conduire. Mieux vaut reconnaître que les talens et les bonnes volontés n’ont pas failli à la tâche que les événemens leur dictaient. Les critiques que les Français ont eu souvent à diriger contre la politique allemande ne ferment pas leurs yeux aux mérites divers des hommes qui la dirigent. Nous apprécions, comme il convient, les qualités personnelles de l’Empereur, le sens élevé qu’il a de ses devoirs de chef d’État, l’assiduité laborieuse avec laquelle il les remplit. Et, comme nous savons aussi en quelle estime il tient la civilisation française, nous ne doutons point qu’il n’ait désiré l’accord de février et soutenu de son approbation l’effort de ses ministres. Le prince de Bülow, si décevante qu’ait été parfois sa politique, a su conformer, après de longs flottemens, ses actes à ses discours, et sa résolution d’en finir avec le cauchemar de Tanger ne s’est point démentie après s’être affirmée. En conservant quelque surprise qu’un esprit aussi pénétrant ait cédé pendant de si longues années aux suggestions d’une routine tracassière, nous rendons justice à sa souplesse, à son ingéniosité, à son éloquence, et, dans une période de correction courtoise, nous avons plaisir à reconnaître la valeur éminente de notre adversaire de la veille. Nous n’oublions pas davantage que M. de Tschirschky, M. de Schoen et, par-dessus tous, le prince de Radolin furent toujours, même aux heures critiques, des interlocuteurs loyaux, dont la sincère bonne volonté réservait pour l’avenir les possibilités d’accord.

Il faut ajouter, il est vrai, que la France, pendant ces trois années, a été représentée, tant à Paris qu’à Berlin, de la façon la plus digne et la plus habile. Par une grande franchise et une simplicité clairvoyante, M. Pichon a inspiré confiance à ceux-là mêmes qu’il combattait, et chacun de ses discours a valu en Allemagne un succès moral à notre cause. En étroit accord avec M. Clemenceau, il a vivifié cette confiance, pendant l’affaire