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foi, qui risquent ainsi de se voir attaqués, sur les routes, par leurs propres fils. L’objet principal du roman est de nous décrire, en une série d’exemples caractéristiques, l’état d’esprit et les mœurs de cette génération d’étudians et de collégiens révolutionnaires dont les audacieuses tentatives d’ « expropriation » ont répandu leur bruit, il y a quatre ou cinq ans, dans l’Europe entière. Se rappelle-t-on ces télégrammes de Varsovie, de Lodz, de Wilna, nous annonçant qu’un train avait été arrêté et dévalisé, ou encore qu’une troupe d’individus masqués avaient, en plein jour, envahi une banque, tué ou bâillonné le caissier, et emporté la caisse on ne savait où ? Les héros de ces exploits trop parfaitement authentiques étaient des gamins de moins de vingt ans, la plupart appartenant à de très honorables familles, et qui eux-mêmes croyaient, le plus loyalement du monde, à la légitimité des nouveaux moyens de combat qu’on leur avait enseignés. Ou plutôt, il y avait sûrement, parmi eux, des personnages dont l’équivalent se retrouve tous les jours chez nous, dans les « bars » des faubourgs ou sur les bancs de la cour d’assises : de simples « apaches, » profitant du désarroi général pour prendre de l’argent où ils en trouvaient. M. Prus nous fait voir aussi quelques-uns de ceux-là, organisant les attentats, sauf à dénoncer ensuite les complices ingénus dont le plus grand tort avait été de leur obéir : mais, à côté de ces coquins d’espèce banale et « cosmopolite, » quelle variété infinie de types purement polonais ! C’est, par exemple, le fils du garde forestier Linowski, Ladislas, qui ne se jette dans la « révolution » que pour se garder l’estime d’un camarade aimé, vénéré de toute son âme de lycéen enthousiaste. C’est un élève de « cinquième, » Brydzinski, dont l’aventure, pour avoir eu récemment son « pendant » jusque parmi la population d’un de nos lycées, n’en reste pas moins tout à fait symbolique des instincts de sa race. Ce garçon s’était affilié à un groupe de jeunes Chevaliers de la Liberté, dont le programme était de pratiquer les attentats par manière d’entraînement moral, afin de s’armer d’énergie pour l’heure prochaine de la lutte décisive ; et comme, dans une réunion de ces jeunes gens, leur chef avait mis en doute leur mépris de la vie, Brydzinski et ses compagnons avaient décidé que l’un d’eux, choisi par le sort, attesterait le courage de tous en se tuant dans les quarante-huit heures. Le sort était tombé sur l’élève de cinquième, et celui-ci, simplement et discrètement, s’était empoisonné. Un autre, Jedrejczak, avait désapprouvé les projets criminels de ses camarades. Pendant qu’il se félicitait d’avoir échappé au danger qui les menaçait, une fausse accusation lui avait valu d’être arrêté, jugé, et condamné à mort : le tout en quelques heures, et sans même lui laisser