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infinie de leurs caractères : M. Sienkiewicz et M. Glowacki, plus connu sous son pseudonyme de Boleslas Prus. M. Sienkiewicz est, comme l’on sait, l’auteur de Quo vadis, et j’ai eu déjà l’occasion de dire ici qu’il était, en outre, l’auteur de nombreux romans historiques consacrés à la commémoration du passé de son peuple, — romans, ou plutôt épopées en prose, dont la simple et forte grandeur compense largement la médiocrité emphatique de son fameux roman « néronien[1]. » Mais soit que l’immense succès obtenu chez nous par ce dernier livre ait brusquement tari l’inspiration de l’auteur, ou que ce succès ait simplement coïncidé avec une crise de lassitude plus ou moins inévitable chez tous les producteurs très féconds, M. Sienkiewicz, depuis déjà une dizaine d’années, n’a rien publié d’équivalent aux remarquables poèmes historiques des années précédentes. Merveilleusement doué pour l’invention romanesque, du moins dans le domaine spécial de l’histoire polonaise, ce conteur a cru devoir s’ériger désormais en philosophe et en moraliste, sans comprendre ce qu’une telle attitude avait de disproportionné à ses qualités naturelles ; et le fait est que ses compatriotes, tout en lui conservant une tendre et respectueuse gratitude, se sont dès maintenant habitués à-considérer son œuvre comme terminée, transportant sur d’autres auteurs la curiosité frémissante avec laquelle, naguère, ils attendaient chacun des nouveaux fragmens de sa glorieuse épopée nationale. Au contraire, M. Boleslas Prus, contemporain ou peut-être aîné de M. Sienkiewicz, a eu l’enviable privilège de ne pas vieillir. Les années, en même temps qu’elles consacraient la renommée de ses œuvres anciennes, ont simplement mûri la robuste pensée de ce psychologue, approfondi sa connaissance de l’âme de sa race, et donné à sa langue un tour plus précis avec plus de couleur. Si bien que M. Prus, doyen des lettres polonaises, n’a pas cessé de s’élever dans l’estime de ses compatriotes, depuis le jour où, il y a un quart de siècle, sa Placowka avait fait de lui le peintre le plus habile et le plus profond des mœurs populaires polonaises[2]. Ni l’ardeur passionnée de M. Reymont, ni la noble et savante éloquence de M. Jeske-Choinski, ni la verve inépuisable de Mme Zapolska n’excitent aujourd’hui, en Pologne, un enthousiasme aussi unanime ; et c’est avec un légitime

  1. Voyez la Revue du 15 juillet 1900.
  2. Ce roman, et tous les autres récits de M. Prus, ont malheureusement une couleur et une saveur locales trop marquées pour qu’aucun effort réussisse jamais à nous les « traduire. » Du moins pourra-t-on se faire une certaine idée du talent et de la manière du maître en lisant l’adaptation française de l’une de ses œuvres les plus touchantes, publiée naguère, à la librairie Perrin, sous le titre d’Anielka.