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« Je vous remercie, mon enfant, de m’avoir donné vite des nouvelles de mon pauvre Joseph [Mazzini] et de m’avoir fait passer sa lettre ; j’en ai reçu une depuis, et je suis tranquille sur son sort. Je vous envoie une lettre pour lui, que vous trouverez plus d’un moyen de lui faire passer, ne fût-ce que par la poste ordinaire. Comme elle ne contient pas de secrets, je ne crois pas qu’elle risque rien. Pourtant, mon timbre de La Châtre peut être signalé à la police, et mon nom aussi. Je crois donc qu’en passant par vos mains cette correspondance n’éveillerait l’attention de personne, et c’est pourquoi je vous demande de vous en charger. Il n’y aurait à la suppression de mes lettres par la police aucun autre inconvénient que celui de priver mon ami de mes nouvelles et de lui laisser croire que je l’oublie ou que je suis malade. Mais cet inconvénient est douloureux pour un pauvre proscrit. C’est pourquoi j’ai songé à l’aide que vous pouviez me donner… Si pourtant vous pensiez que cela a le moindre inconvénient pour vous, n’en faites rien, et renvoyez-moi la lettre que je vous fais passer. Les journaux confirment ce que vous me dites, qu’il est à Malthe[1]… Enfin, faites pour le mieux. J’espère en cet ami que vous avez sur un navire arrivant de Malthe, et qui doit vous bien renseigner.

« Je n’ai pas le courage de vous parler politique. Lisez la lettre que je vous envoie ouverte… Bonsoir, mes enfans bien-aimés, Charles, Désirée, Solange. Je vous dirai le mot que Joseph m’écrit : « , Aimez-moi, quoi qu’il arrive. L’amour n’est jamais perdu. » Je vous embrasse tous trois. Votre mère. »

Excessives, en ce qui concerne Mazzini, les appréhensions de George Sand n’étaient que trop justifiées sur beaucoup d’autres points. Le choléra, la dysenterie épidémique venaient joindre les maux généraux à des menaces particulières. La correspondance était fouillée, saccagée. « Oui, les temps sont durs. C’est le mot des avares, et des pauvres aussi. Toutes les calamités, toutes les hontes, toutes les amertumes à la fois : mais ne doutons pas de la Providence. Si elle n’existait pas, nous n’aurions jamais de lendemain à ces affreux jours, et il y a toujours des lendemains. Le peuple le sait, et il ne s’abandonne jamais pour longtemps. » (20 octobre 1849.)

Mais le « lendemain » ne s’annoncera pas encore. Au contraire,

  1. Il était bien à Malte, mais il fallait lui écrire sous le couvert de M. Maurizio Quadrio, à Genève.