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est réduit à voir souffrir et manquer tous ceux qu’on aime et tous ceux que l’on plaint. Quant à moi, je ne demande ni aisance ni repos, j’ai perdu jusqu’à la pensée de ce dernier bonheur. Je ne demanderais à Dieu que de pouvoir travailler avec fruit pour le soulagement physique ou moral des autres. Mais voilà que ni l’un ni l’autre n’est possible dans cette effroyable crise des intérêts et des passions, des besoins surtout.

« L’Assemblée nationale aurait pu, du moins, apporter un remède à la misère, et à ces souffrances du propriétaire modeste et honnête qui voudrait payer ses dettes et sauver ses proches. Il ne s’agissait, pour ramener la circulation de l’argent, que de faire renaître, non pas cette confiance (vraie blague du bourgeois) qu’on ne peut jamais violenter, mais le crédit. Pour en venir à bout, pour détruire l’usure, principale cause de ce resserrement monétaire, pour mobiliser la propriété et faire profiter le pauvre de l’aisance du riche honnête, il ne fallait que quelques mesures financières très simples, qui auraient enrichi tout le monde, et qui n’avaient d’autre inconvénient que d’arrêter les spéculations honteuses des financiers. L’Assemblée nationale a eu peur de Turcaret. Elle en avait plusieurs dans son sein. Elle a été lâche et bête, n’a vu que la vieille routine, et a cru ne pouvoir en sortir. Cette situation impossible nous mène au désespoir ou à la folie. Les uns parlent de nous ramener à 93, les autres de relever l’Empire, rêves chimériques de part et d’autre, et qui n’aboutiront qu’à l’anarchie morale, en attendant l’anarchie matérielle.

« Notre situation politique est sans exemple dans l’histoire. Nous n’avons pas de candidat à opposer à M. Louis Bonaparte. Il faudra nous grouper autour du désagréable et haïssable Cavaignac, ou, par la division de nos efforts, laisser triompher le prétendant. Ledru-Rollin, autour duquel se rallient les démocrates avancés de la province, n’inspire pas de confiance à Paris et dans les grands centres d’ouvriers socialistes. Raspail et consorts n’auront qu’une faible minorité. La question est entre le sabre sanglant de l’Algérie et l’épée rouillée de l’Empire. Je ne sais, en vérité, pour qui je voterais si j’étais homme. Le débat entre ces deux gloires sera peut-être violent à Paris. On s’y attend. Pour qui faire des vœux durant cette lutte ? Le savez-vous ? Moi, je n’en sais rien.

« Ce n’est pas l’oubli des arts qui me tourmente. Il y a bien