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l’avait prophétisé à Louis Bonaparte, lorsqu’il était encore au fort de Ham[1], ne pouvait s’y tromper. Tout aussitôt, le pouvoir voulut établir sa force ; et les violences préparatoires du coup d’Etat commencèrent. Puis vint le coup d’État lui-même, avec ses odieuses brutalités. George Sand devait ressentir plus que personne le contre-coup de tels sévices, elle qui comptait parmi les victimes tous ses amis berrichons, dont beaucoup étaient surtout coupables de l’avoir trop aveuglément suivie. Son cœur fut donc meurtri chaque jour. Mais aussi ce cœur trouva des forces surhumaines pour arracher aux exécuteurs de braves gens, coupables seulement de délit d’opinion. Elle y réussit, à force de persévérance, d’appels, de démarches portées jusqu’au pied du trône, qui d’ailleurs, présentées avec autant de noblesse que de douleur, furent accueillies avec une bonté qui commanda désormais à l’illustre suppliante le silence, et lui fit de la gratitude une sorte de devoir sacré. Tout ce chapitre de l’histoire de George Sand entre 1848 et 1852, non pas certes inconnu, mais jusqu’ici insuffisamment éclairé par ce qui en a paru dans la Correspondance, est peut-être celui où se révèle le plus héroïquement la grande âme de George Sand. Epoque pour elle douloureuse et pathétique, dont nous aurions la vue plus nette, si l’interdit qui pèse encore sur la correspondance de l’écrivain avec le Prince-Président et l’Empereur était un jour levé. Néanmoins, les épaves qu’on en a pu recueillir, et les lettres de George Sand au prince Jérôme suffisent à attester ce que fut son rôle et à quoi désormais il se borna[2].

Les lettres à Poncy, forcément rendues prudentes par la crainte du cabinet noir, n’en apportent pas moins une certaine contribution à la connaissance de cette période. Mais ici, il devient difficile de citer largement ; il faut plutôt glaner.

« Cher enfant, je pense toujours à vous, je suis toujours à Nohant. Rien n’est changé dans ma vie, si ce n’est les chagrins d’affaires. J’appelle chagrins ce qui ne mériterait que le nom d’embarras et de contrariétés dans un autre temps. Mais dans celui-ci, cette paralysie de l’argent fait souffrir le cœur, puisqu’on

  1. « Prince, je me souviens de vous avoir écrit à Ham que vous seriez Empereur un jour, et que, ce jour-là, vous n’entendriez plus parler de moi. » (Corr., III, p. 284 ; — 3 février 1852.)
  2. Les lettres de George Sand à Louis-Napoléon s’arrêtent, dans la Correspondance, au 28 juin 1852 ; — celles au prince Jérôme vont du 3 janvier 1852 jusqu’au-delà de la guerre, — jusqu’au 28 décembre 1814. Il y en a trente-six.