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« politique. » C’est la formule qui semble le mieux lui convenir.

Comparons ses ouvrages. Tous révèlent cette tendance. Sa thèse est l’histoire d’un des derniers féodaux, de ses démêlés avec l’autorité royale. Les Institutions monarchiques sont l’étude d’une révolution et d’un gouvernement. Dans la grande secousse des classes populaires, au XIIe siècle, ce qui le frappe, ce n’est ni l’organisation nouvelle de la vie, du travail, de la production, des rapports juridiques entre l’homme et la terre, ou l’homme et son maître ; c’est la Commune. Nous veut-il donner une description du régime féodal ? Les meilleurs chapitres de son Manuel sont encore ceux qu’il consacre à l’administration, au gouvernement des seigneurs. Mais, il l’avoue lui-même, il ne touche « ni à l’économie politique et sociale, ni à l’organisation intellectuelle. » Il n’est point jusqu’à son Innocent III, qui n’accuse le même esprit. Certes, on ne peut dire que l’auteur de la Croisade des Albigeois ait été fermé à l’intelligence des idées religieuses. Et pourtant, son héros est surtout un politique. M. Luchaire aime à suivre le fil de ses combinaisons, à démêler d’une main ferme ses desseins, ses audaces, ses reviremens, ses reculs, les poussées vigoureuses qu’il donne aux événemens ou les chocs en retour que les événemens lui infligent, toute cette stratégie de l’action que nul n’a vue, comprise, exposée comme lui. Sa grandeur intime et mystique lui échappe. Le dernier volume consacré à l’œuvre ecclésiastique est le moins complet. Encore la grande assemblée en 1215 ne l’a-t-elle intéressé que par les solutions qu’elle donne « aux plus graves problèmes de la politique européenne, » et l’affirmation éclatante « de la suprématie conquise sur le monde » par la papauté. C’est qu’il a côtoyé, sans le voir, cet infini de la vie de l’Eglise. Seule dans cet ensemble, l’étude de la Société française au temps de Philippe-Auguste, semble faire exception. Ici, l’historien a élargi sa manière. Qui oserait dire pourtant que cette œuvre qui touche à peine aux transformations profondes de l’économie sociale et de la structure, où nous ne sentons point comme le frisson des grands souffles intellectuels et mystiques qui annoncent le XIIIe siècle, soit bien celle que nous attendions ? L’auteur voit les faits sociaux par le dehors ; il les décrit, plus qu’il ne les pénètre : l’âme des penseurs et des foules ne lui livre qu’une part de son secret.

Les grands démiurges sont des poètes. Cette imagination créatrice n’avait pas été donnée à celui qui eut, avant tout, l’âme