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serrés, sont des modèles. Il eût été fâcheux qu’ils fussent perdus.

Qu’on mesure maintenant aux matériaux dont l’historien se sert, aux assises qu’il pose, la qualité supérieure de l’édifice. Rien n’y est laissé à la fantaisie : il ne vise pas à faire grand, mais solide. Un souci du détail poussé jusqu’au scrupule, point d’idée générale sans faits, de faits sans preuves, des documens de premier choix, enchaînés les uns aux autres, encastrés dans une trame serrée, tout donne l’impression d’une construction durable et forte. Peu importe même que l’auteur nous dérobe ses témoignages. On les devine, on les voit presque sous chaque phrase, à travers chaque mot. Le revêtement extérieur accuse toujours l’armature savante et ferme, ce par quoi le monument reste debout. Tel est bien le premier caractère de ses livres. — Et voici le second. L’érudition chez lui n’est qu’un moyen. Elle est la condition première de l’histoire, non l’histoire même. Ce qu’il lui demande, c’est une résurrection du passé.

L’histoire est une science par la nature des problèmes qu’elle pose et des solutions qu’elle cherche. Nul, plus que M. Luchaire, n’a été pénétré de cette vérité. Il pensait que l’histoire a un but : atteindre dans leur réalité les faits individuels ou collectifs, qu’elle offre un plaisir très délicat, « celui de sentir vivre les générations mortes, de pénétrer l’âme des siècles disparus. » Il est vrai, ce ferme et sage esprit ne lui apporte, ni ne lui demande une théorie ou une explication de la vie sociale. On chercherait en vain un système dans son œuvre. Il proteste hautement contre la doctrine qui assimile les sciences historiques aux sciences biologiques ; la seule certitude qu’il reconnaisse, qu’il proclame volontiers, est cette continuité, cette dépendance qui unit les siècles les uns aux autres et fait toujours parler les morts dans le verbe des vivans. S’il admire le génie d’un Fustel, et cette puissance d’analyse qui lui fait toucher jusqu’aux infiniment petits de la vie sociale, il se garde de le suivre. Dans les faits du passé, il choisit et il se limite. Ses regards se portent sur les phénomènes les plus apparens, moins sur les idées et les grands faits sociaux, que sur les institutions et les hommes, sur la vie privée, que sur la vie publique. Est-ce par goût ? Par nature d’esprit ? Sous l’influence aussi du milieu dans lequel il a grandi et que le problème des formes de l’État passionnait seul ? On ne saurait le dire. Ce qui est sûr, c’est qu’il n’est ni un métaphysicien, ni un économiste. Il est surtout un historien