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liquider le formidable arriéré de rivalités asiatiques qui, depuis tant d’années, séparait Londres de Pétersbourg. Avec l’appui ferme et discret du gouvernement français, M. Isvolski résolut d’aborder cette œuvre capitale. Le 13 juin 1907, il signait avec l’ambassadeur du Japon une première convention relative aux chemins de fer de l’Est chinois et du Sud mandchourien. Le 28 juillet suivant, il concluait un accord relatif au droit de pêche dans les mers du Japon, d’Okhotsk et de Behring. Enfin, le 30 juillet, un protocole plus général intervenait entre les adversaires de la veille et substituait entre eux l’amitié à la défiance, ouvrant la voie à l’accord anglo-russe dont l’importance européenne devait être plus considérable encore, et qui fut signé à Saint-Pétersbourg le 31 août.

L’accord anglo-russe couronnait l’effort diplomatique de la France pour l’indépendance et pour l’égalité. Qui ne sait en effet que, pendant un demi-siècle, la rivalité de l’Angleterre et de la Russie avait été contre nous l’arme préférée de l’Allemagne ? De la guerre de Crimée à celle de 1870, il est aisé de suivre sur ce terrain la diplomatie de Bismarck dans l’effort complexe dont nous fûmes les victimes. Si la tentative de Thiers pour remuer l’Europe demeura stérile, c’est que, sous les auspices de la Prusse victorieuse. Anglais et Russes s’obstinaient à poursuivre des desseins opposés. Il fallut le formidable progrès de l’Allemagne pour rapprocher un moment, en notre faveur, dans l’alerte de 1875, les deux ennemis traditionnels. Mais la leçon du Congrès de Berlin leur échappa, et le triomphe bismarckien les laissa désunis. L’alliance franco-russe elle-même n’avait pas suffi à les réconcilier. Et c’est après quinze ans qu’en se rejoignant, ils scellaient un anneau de plus à la chaîne des combinaisons qui, depuis 1904, tendaient à libérer l’Europe de l’hégémonie germanique.

Cette négociation ne fut pas d’ailleurs la seule par où se manifesta, en 1907, l’activité diplomatique du groupement anglo-français. Au mois de mai de cette même année, un double protocole, l’un franco-espagnol, l’autre anglo-espagnol, enregistra l’accord des trois puissances pour le maintien du statu quo dans la Méditerranée occidentale et dans l’Atlantique oriental. Ainsi se précisait la politique dont Alphonse XIII s’était fait le champion dès sa majorité et que son mariage avec la princesse de Battenberg, en 1906, avait accentuée déjà. Ce n’était pas une