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dernier volume, une histoire du concile de Latran et une esquisse du mouvement de réforme… Nous aurions aimé aussi, dans ce portrait d’un pape, quelques traits plus accusés sur l’homme, le croyant mystique qu’il fut, sa vie intérieure et cachée. Et enfin, comme conclusion de cette très belle œuvre, l’auteur ne nous devait-il pas, dans un raccourci vigoureux, son jugement sur la grandeur et la caducité du système, sur les conséquences incalculables du régime théocratique pour l’avenir de l’Europe, de la papauté, du catholicisme ? — À ces critiques, M. Luchaire eût pu répondre qu’il voulait n’écrire qu’une histoire « politique » d’Innocent III, il y a réussi. Et si son horizon est restreint, ce n’est point qu’il n’en soupçonne d’autres, c’est qu’il s’y enferme et par sa conception de l’histoire et par la nature de son talent.

Il n’est pas toujours aisé de démêler, dans notre formation intellectuelle, notre part et celle d’autrui. A l’inverse d’un grand nombre de savans, M. Luchaire semble un isolé. Il n’entend se ranger dans aucune école ; il ne se réclame d’aucun maître. Cependant, il a subi des influences qui percent dans ses jugemens comme dans ses écrits.

La première fut celle de M. Zeller. L’auteur de l’Histoire d’Allemagne n’avait pas uniquement dirigé son élève vers l’étude du passé. Il lui en avait donné le sens comme le goût, et montré que l’histoire n’est pas seulement une œuvre de compilateur, mais d’artiste, moins une chronique qu’une résurrection. Fustel de Coulanges fut son second maître. Il l’avait peu connu, mais il avait lu ses livres, et il eut toujours pour celui qu’il devait remplacer à la Sorbonne la plus vive admiration. C’est à lui qu’il dédie ses Institutions monarchiques. Dans l’éloge ému qu’il lui consacre, en 1890, il loue sans réserves sa méthode « parce qu’elle est la vraie… » sa critique, parce qu’elle a laissé de « salutaires exemples. » Six ans plus tard, dans sa notice sur M. Geffroy, il rappelle encore « son idéal supérieur. » Et de fait, il lui emprunte quelques-unes de ses idées maîtresses. Il rejette, comme lui, la théorie de l’influence, de la persistance des races par laquelle Thierry et Guizot avaient prétendu expliquer nos institutions. Il professe, comme lui, « la grande loi historique de la continuité et de la transformation lente et graduelle » qui domine toute la philosophie sociale. On peut même retrouver parfois