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législation contre les hérétiques. On chercherait en vain la peine de mort dans les mesures répressives qu’il prend : on n’y trouve que le bannissement ou la prison. « Après tout, n’était-ce par-là un progrès sur la justice sommaire du peuple, des rois et de certains prélats qui commençaient par envoyer les hérétiques au bûcher, sans même faire, la plupart du temps, la distinction indispensable entre les convaincus et les suspects ? »

Mêmes préoccupations et mêmes méthodes dans la plus grande croisade, celle dont Innocent parle et s’occupe toujours. Que de cette œuvre libératrice toute pensée politique fût absente, M. Luchaire ne le croit pas et il montre comment le pontife devait concilier « son devoir de chef de religion et ses visées de domination universelle… ses convictions et ses intérêts… » Du moins, dans la préparation de la croisade, les directions données, à la veille comme au lendemain de la victoire, son activité, son tact, son sens politique sont admirables. Les yeux « sans cesse fixés sur le monde musulman, » le Pape s’était fait envoyer, dès le début de son pontificat, des mémoires sur la situation de l’Islam et de ses chefs. Il entre en relations avec les souverains et les évêques d’Orient, s’efforce de souder les derniers débris du royaume latin de Jérusalem dans une pensée de commune défense. En Europe, il prêche, écrit, fulmine pour entraîner les rois et les peuples. Il ménage Byzance, à la fois son adversaire et son alliée, partagé entre deux nécessités, combattre le schisme et soutenir l’Empire. Cela, fait, Innocent III comprend qu’il faut frapper l’Islam au cœur, non plus à Jérusalem, en Asie Mineure, mais en Egypte. — Et quand enfin, malgré lui, en dehors de lui, la grande vague déchaînée va s’abattre sur Constantinople, s’il s’indigne d’abord, il réfléchit et accepte. Un baron catholique sur le trône du César !… quelle chance inespérée d’en finir avec le schisme ! Et pourtant, s’il s’empresse d’intervenir pour empêcher les vainqueurs « d’accaparer les profits de la victoire, » s’il organise l’Eglise latine, il se rend compte qu’on ne détruira point le schisme par la force. Il arrête toute tentative de persécution, autorise les évêques grecs qui font profession d’obédience à garder leur église, sans nouveau sacre, tolère leur liturgie. Avec les autres, réfugiés en Asie Mineure, Rome entame des pourparlers. Pour l’entente, elle est prête aux plus grandes concessions. « Je pense, disait le Pape, que la diversité des coutumes ecclésiastiques ne peut faire aucun tort aux Eglises