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mariage ou attentent à la liberté du sacerdoce ; guerre contre l’esprit national qui s’éveille et qui s’affirme, limitant les appels à Rome, fermant le territoire aux légats pontificaux, revendiquant pour le prince l’élection des prélatures. L’unité même existe-t-elle ? Jamais elle n’a été plus menacée. Une partie de la France, de l’Italie du Nord est envahie par les Cathares. Au sein de l’Eglise se propage, comme un poison, l’hérésie formidable du manichéisme renaissant, tandis qu’aux extrémités, sous la poussée de l’Islam, Jérusalem est perdue et le royaume latin détruit. Telle est l’Europe que va trouver Innocent III. Et voici celle qu’il rêve : une Italie émancipée, une amphictyonie de royautés vassales, groupées autour de Rome, réconciliées entre elles, unies contre le Turc, l’orthodoxie rétablie dans les consciences, l’Eglise réformée. À cette tâche vont être consacrées dix-huit années de pontificat. On comprend qu’un tel homme et qu’une telle œuvre provoquent l’attention passionnée. Nous allons voir comment M. Luchaire en a été l’historien.

La question italienne était la première qui se posait devant le Pape. C’est la première aussi que traite notre auteur. Dans Rome et l’Italie, nous assistons aux efforts tentés par Innocent pour achever l’œuvre d’Alexandre, peut-être la plus belle page, en tout cas, la plus durable du règne. Contre l’Allemand, il reconstitue la ligue lombarde, appuie la ligue toscane, libère Spolète, les Marches, la Romagne et y fait reconnaître sa suprématie. En Sicile, que peut-il craindre de ce petit roi enfant, qu’il protège et qui ne peut faire prévoir Frédéric II ? Dans le Patrimoine, à Rome même, dès son élection, il travaille avec vigueur à restaurer sa propre autorité ; et quand, après dix années de lutte, à force d’énergie, de souplesse, et aussi de générosité, il a triomphé de ses sujets, il peut intervenir entre les communes du Nord, comme juge ou comme arbitre, et prendre en mains la cause de la paix, ayant défendu celle de l’indépendance. — Cette hégémonie politique ou morale sur la péninsule n’était-elle pas d’ailleurs la condition nécessaire pour triompher de l’éternel compétiteur : l’Empire : « Souci quotidien de sa politique, l’Allemagne était toujours la terre hostile, la pierre d’achoppement. » Et dans un très beau livre, la Papauté et l’Empire, M. Luchaire nous montre comment Innocent III va engager la lutte. La mort d’Henri VI avait rejeté en Allemagne ce fléau du schisme qui, pendant si longtemps, avait affaibli la papauté. Deux