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aux lecteurs un résumé de ce qu’ils doivent savoir de ces questions. Il rendait à la science le service plus grand encore de lui montrer ce qu’elle sait, ce qu’elle conjecture, ce qu’elle ignore. Cela, c’était encore faire œuvre de savant. Reprenant, par exemple, les excellentes monographies de MM. Giry et Prou sur Saint-Omer et Lorris, M. Luchaire critique, d’une manière décisive, les théories diverses sur l’origine des communes ; il montre qu’elles ne sont ni une survivance du régime gallo-romain, ni une importation de la Germanie, ni un succédané des associations de la paix : c’est dans l’histoire intérieure de nos villes, leur condition économique ou politique qu’il faut chercher la genèse du mouvement. Etudiant à son tour les chartes communales et les comparant à ces transactions multiples et diverses qui de tous côtés se concluent entre les sujets et les seigneurs, il assigne à la commune son vrai rôle et sa véritable place. On avait trop cru, à la suite d’Augustin Thierry, à son influence décisive sur le progrès des classes populaires ; « forme brillante et éphémère de l’émancipation de la bourgeoisie, elle est peu de chose dans ce grand enfantement du régime nouveau qui donne aux foules des droits et des libertés. » Examinant enfin ses rapports avec les pouvoirs établis et la royauté même, il montre dans le clergé comme dans le pouvoir royal, non ses alliés naturels, comme on l’avait dit, mais ses ennemis. Finalement, imprégnée de l’esprit féodal, née de la guerre, faite pour la guerre, jalouse de ses privilèges, impitoyable pour le petit peuple, et minée par l’anarchie et l’émeute, cette seigneurie urbaine succombe « sous le poids de ses fautes et les empiétemens du roi. » Elle avait été un progrès, elle finissait en tyrannie. L’heure était venue où elle devait disparaître.

Comparons ces idées si nouvelles, si fécondes, aux opinions de l’ancienne école, aux théories enthousiastes des historiens de la Restauration ou de la Monarchie de Juillet ; nous pouvons mesurer les changemens qu’elles consacrent. M. Luchaire n’en était pas l’auteur, mais, en les faisant siennes, il a contribué à les répandre ; en les exposant avec clarté, il leur a assuré droit de cité dans le domaine de la science. Et lui-même leur a dû un autre avantage, celui d’élargir sa méthode et son horizon. De 1895 à 1901, en abordant l’époque de Philippe-Auguste, c’est à la fois vers l’étude générale des institutions et celle de la vie sociale qu’il va se diriger.

On peut dire que ce demi-siècle qui s’étend de 1180 à