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Mme Ducrest n’eut garde de négliger l’appui de sa sœur, Mme de Montesson, et de sa belle-sœur, la comtesse de Sercey. Il est à présumer que Mme de Genlis a raison quand elle affirme que ce ne fut point Mme de Montesson qui la maria. Sans doute aussi les contemporains n’ont-ils pas tort dans leur affirmation contraire. Un rapprochement se fît alors entre les deux sœurs : une parente sérieusement établie atténuait par sa seule présence ce que l’allure et la pauvreté de Mme Ducrest avaient d’aventureux, aux yeux d’un fiancé éventuel. Mme de Montesson n’eût-elle apporté à sa jeune nièce que cet appui d’honorabilité, le secours était précieux. Mais elle la servit d’une manière autrement efficace par sa science innée du monde, sa politesse toute en nuances, à la fois engageante et discrète, son assurance de grande dame qui jamais n’a risqué une fausse manœuvre, sa coquetterie déjà souveraine. Il y a dans le récit de Mme de Genlis un fond de vérité. Encore faut-il ne l’accepter que pour ce qu’il vaut, c’est-à-dire pour un arrangement romanesque, où l’intéressée se présente sous le jour le plus flatteur. Ducrest tendit les premiers rets, et fit habilement miroiter la beauté de la jeune fille, les agrémens de son esprit et de sa personne. Il inspira ainsi à Genlis une vive curiosité. Il fallut bien des manœuvres concertées pour que les attraits de Félicité Ducrest changeassent ce désir d’intrigue en un solide mariage. Genlis avait vingt-sept ans. Il n’était pas un naïf, pas davantage un sentimental. Il savait comment se mènent les aventures. Jusqu’au bout, il se crut maître de conduire à son gré cette amourette. Tout en se jouant au charme et au sourire de la petite Ducrest, il se laissait engager par son oncle, le marquis de Puisieux, dans une sérieuse affaire de mariage. Parmi ces femmes spirituelles et rusées, entre tant d’aguichantes et flatteuses coquetteries, le pauvre colonel perdit la tête, et se laissa, comme un benêt, mener au mariage par une fillette de dix-sept ans, dont la jeune renommée et la beauté provocante avaient quelque chose d’inquiétant. L’affaire fut dirigée et conclue en grand mystère, par les soins de la comtesse de Sercey, chez qui Mme Ducrest et Félicité s’étaient retirées depuis plusieurs semaines. Le mariage se fit secrètement, à minuit, en l’église Saint-Roch, et on ne le déclara que plusieurs jours après.

Ce fut un beau tapage. Le puissant marquis de Puisieux, furieux d’avoir été berné, sa fille, la maréchale d’Estrées, allaient fulminant, et recueillaient avec colère tous les mauvais bruits