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et, sans pouvoir s’expliquer ces nuances, l’enfant elle-même dut souffrir plus d’une fois dans sa jeune fierté, fût-ce vis-à-vis de ses cousines dont elle n’était plus l’égale. Les petites filles ont, même sur les choses qu’elles ne peuvent comprendre, bien des intuitions, et celle-ci était fine et perspicace entre toutes. Félicité Ducrest, de bonne heure, sans qu’il fût besoin de l’en avertir, sentit la nécessité de s’assouplir, de s’adapter aux milieux. Elle eut plus qu’une autre le désir et le besoin de plaire. A l’instinct féminin s’ajoutait chez elle le sentiment des dures réalités : elle devait se rendre assez aimable pour qu’on la jugeât indispensable aux amusemens et aux plaisirs. Les talens précoces qui faisaient sa joie et lui avaient valu tant de succès d’amour-propre seront désormais pour elle un passeport, une sorte de droit d’entrée dans la société, où elle ne sera plus que tolérée. Tout cela, elle ne le sait pas encore ; elle ne l’apprendra que peu à peu et par de successives désillusions. Mais elle sent obscurément que toutes choses sont changées pour elle. Il y eut dans sa prime jeunesse, presque au sortir de l’enfance, plusieurs années pénibles dont il faut lui tenir compte, si on veut juger équitablement sa vie. Peut-être alors sera-t-on enclin, à lui pardonner quelque esprit de dissimulation et d’intrigue, et pourra-t-on comprendre que, dans sa hâte d’arriver, elle n’eut pas toujours le loisir de suivre la grande route, et prit parfois les sentiers de traverse.

C’est de ces années que datent ses premières velléités littéraires. Les enfantillages qu’elle dictait à Mlle de Mars marquaient quelque disposition. Mais elle ignorait qu’il y eût des règles pour écrire en prose et en vers. Les gens de lettres qu’elle rencontrait chez sa tante le lui apprirent. Mondorge surtout s’intéressa à ses essais et lui témoigna une amitié bienveillante. Le quatrain qui enthousiasma ce financier-poète n’a guère de remarquable, en dehors de l’âge de l’auteur, que les deux rimes sonores : gloire et victoire.


Félicité, Mars et Victoire
Se trouvent rassemblés chez nous.
Est-il rien de plus grand, est-il rien de plus doux
Que de fixer chez soi le bonheur et la gloire ?


Ce jeu de mots sur le nom de la fillette, celui de son institutrice et celui de la femme de chambre de sa mère plongea