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l’héroïne. Elle s’attribue toutes les vertus, les petites et tes grandes. Non seulement, elle, est « timide, réservée, » ennemie « des rapports, des commérages et des tracasseries, » mais il y avait, nous dit-elle, jusque « dans ses rêveries romanesques, un fond d’amour pour la gloire et pour la vertu qui, surtout dans l’enfance, les rendait remarquables. » Tout cela ne ressemblerait-il pas à d’amusantes contre-vérités, si l’humour n’était ce qui manque le plus à notre personnage ?

« Elle fut élevée par une mère sans scrupules, » dit Talleyrand, en commençant un portrait de Mme de Genlis, qui est d’une sévérité cruelle.

Jusqu’ici, Mme Ducrest nous est surtout apparue romanesque, singulièrement oublieuse de ses devoirs de mère, auxquels elle échappe avec l’insouciance de son temps, aggravée par la puérilité persistante d’une grande enfant qui n’a connu de la vie que le couvent. Quand vint la misère, elle songea seulement à se dérober à toutes ses conséquences pénibles : elle n’était point de celles qui font face au malheur, les privations n’étaient pas son fait. Aussi allons-nous la voir chercher une vie aisée et facile dans un parasitisme aimable, mais terriblement plein d’embûches pour une enfant aussi précoce que la jeune Félicité. Après avoir été une mère trop négligente, on peut trouver qu’elle devient une mère trop avisée, en livrant au hasard intelligent le soin de tirer un parti avantageux des charmes piquans et des hardiesses ingénues de sa jolie enfant.

Elles s’installèrent d’abord chez Mme de Bellevaux. La jeune femme avait alors vingt-huit ans. Elle était dans tout l’éclat de sa beauté et le brillant de son esprit. Mme de Genlis a tracé d’elle un portrait séduisant : « Une taille majestueuse, des manières nobles et remplies de grâce ; un teint éblouissant, des traits réguliers, une conversation spirituelle et piquante, des talens agréables, la rendaient une des plus charmantes personnes que j’aie jamais vues. » Mais la maison n’était rien moins que sévère. De sa liaison avec Lenormant d’Etioles, Mme de Bellevaux avait gardé de nombreuses attaches dans le monde des financiers, des artistes, des gens de lettres. Marmontel, Mondorge, Jelyotte fréquentaient chez elle à Paris et à Saint-Mandé. On imagine bien que les propos étaient de nature à aiguiser l’esprit plutôt