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Roi, Claude Béraut de Bellevaux, mort au siège de Prague en 1742, s’en était venue chercher fortune à Paris. Belle, coquette, elle fit la connaissance de Lenormant d’Étiolés, et entreprit de le distraire de ses éclatantes infortunes conjugales. Elle y réussit si parfaitement que naquirent deux petites filles auxquelles il fallut trouver un père. César Ducrest et Mlle de Mézières auraient consenti à reconnaître et à légitimer par leur mariage les deux petites bâtardes, moyennant une somme de 300 000 écus, dont la moitié d’ailleurs serait restée aux mains des intermédiaires. L’une de ces enfans serait Mme de Genlis.

Il est regrettable que cet affriolant récit ne soit vrai qu’en partie. Il nous faut décidément renoncer à ce singulier trait d’union entre Mme de Pompadour et Mme de Genlis, qui est bel et bien née en légitime mariage. Nous avons pu suivre d’archives en archives la famille Ducrest dans tout le pays bourguignon et contrôler les dires de Moreau. Sa bonne foi n’est point en jeu, mais il s’est trompé de Ducrest. Ce n’est pas Pierre-César, c’est son cousin germain Lazare Ducrest, baron de Chigy, et sa femme Phélippe-Julienne de Gayot qui conclurent cet honorable marché. Mais le diable ne perd pas ses droits en ce qui est de Pierre-César et de sa femme. Vraisemblablement, ils négocièrent, et en tout cas, ils patronnèrent la combinaison ; après quoi, ils s’efforcèrent d’en tirer tous les avantages possibles. C’est sous leurs auspices, sous leur toit même que se fit la cérémonie et que fut signé le contrat (27 décembre 1753), bien que les fiancés eussent à proximité famille et logis.

De tout temps on s’est demandé d’où vient l’argent, et rien n’était moins explicable, semblait-il, que la richesse soudaine de Pierre-César. L’ascension rapide du ménage Ducrest suffisait à justifier les malignes remarques. Naguère encore, il ne possédait rien ; pour faire figure dans les actes officiels, César Ducrest était réduit à emprunter les titres de baron de Chancery et Périgny, qui, par le testament paternel, revenaient à son frère aîné, François. Et le voici en 1752, — la conclusion de l’affaire de légitimation est de 1753, — à même d’acheter le marquisat de Saint-Aubin pour 76 500 livres, plus la terre et la baronnie de Bourbon-Lancy. D’une part, on se persuadera difficilement que l’assistante prêtée à Catherine Chaussin et à Lenormant d’Etioles ait été désintéressée ; de l’autre, il semble malaisé de ne point établir un rapport entre cette fortune et le service rendu au puissant financier.