Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/855

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pouvait être question de la fortune de M. de Mézières : le pauvre homme n’avait notoirement laissé que des dettes, et depuis longtemps c’est la générosité du marquis de la Haie qui faisait face aux nécessités pressantes du ménage. Quant au petit avoir partagé entre de nombreux héritiers à la mort de François Minard, en 1754, sa petite-fille n’y avait présentement aucun droit. D’ailleurs, nous venons de le voir, elle s’en exagérait singulièrement l’importance.

Au vrai, c’était une vie d’aventures que commençait la pauvre femme, plus ignorante de la vie qu’il n’est permis à cet âge. Ni elle, ni son époux n’étaient de caractère à se contenter de l’existence mesquine et resserrée qui les attendait dans le coin de Bourgogne où ils étaient appelés à vivre. Mais comment en sortir, sans autres ressources que de joyeux instincts, et un esprit fécond en ingénieuses et romanesques inventions pour les satisfaire ? Ni l’un ni l’autre de ces intelligens époux ne semble avoir été gêné par un excès de scrupules. Transplantée, dès la cérémonie (23 novembre 1743), du parloir de Bon-Secours dans le peu riant manoir de Chancery, où l’attend une morose et parcimonieuse hospitalité, la nouvelle épousée paraît n’avoir d’autre souci que d’égayer la vie, et, dix années durant, elle organisa au fond de sa province une fête perpétuelle dans un décor de Watteau. N’avait-elle pas à prendre sa revanche de toutes les sévérités du passé ? D’accord en cela avec son époux, qui, lui aussi, cherchait à oublier dans la dissipation présente les privations et les déboires de sa jeunesse besogneuse. Mais, plus qu’elle expérimenté, peut-être songeait-il : Qui paiera lampions et guirlandes ?

La pénurie du nouveau ménage avait donné crédit à de singulières histoires dont Moreau s’est fait l’écho dans ses Souvenirs. Ce Jacob-Nicolas Moreau était le plus honnête homme du monde, grave, volontiers un peu solennel, frotté de grand monde par ses fonctions d’historiographe du Roi, et bibliothécaire de la reine Marie-Antoinette. Bourguignon d’origine, il connaît tout ce monde de sa province : il est l’ami des la Haie, de Mme de Montesson, de Mme de Chastellux, fille du chancelier d’Aguesseau. Ce qu’il répète, il l’a certainement entendu dire ; il se fût fait scrupule d’un mensonge ou d’une inexactitude. Voici la romanesque histoire que lui aurait contée Mme de Chastellux.

Une demoiselle Chaussin, veuve à vingt ans d’un officier du