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Enoch Arden est une nouvelle en vers où M. Augustin Filon, il le disait excellemment ici même, se plaît à trouver, non pas comme dans nos romans dits réalistes ou naturalistes, l’odeur du peuple, mais son parfum comme dans Geneviève. J’ai pensé encore quelquefois, en lisant In memoriam par exemple, à l’anar lyse précise, à la délicatesse savante, à l’élévation morale de notre Sully Prudhomme, à son effort aussi, d’autres fois, pour faire passer la philosophie et même la science dans le domaine de la poésie. Et beaucoup de vers enfin, beaucoup de poèmes, ont évoqué le souvenir de quelques-uns des meilleurs entre les plus nobles ou les plus tendres de nos poetæ minores : un Laprade ou un Brizeux.

Mais, si divers que soient les accens de son génie, — et on lui a reproché qu’ils le fussent trop, — ils ne font jamais entendre qu’une seule voix : une voix anglaise. Son élargissement indéfini réussit à embrasser tout entière la tradition poétique de la race. On trouve dans son œuvre des échos de tous les chants qui ont exprimé avant lui le rêve de l’Angleterre, et durant les soixante-cinq années qu’a remplies la composition de cette œuvre, il y recueille toutes les pensées, toutes les aspirations, tous les sentimens, tout les souvenirs qui passent dans l’âme de son pays. Ses compatriotes se sont accoutumés à l’entendre parler pour eux, et ils lui ont emprunté ses paroles ; il s’est établi entre eux et lui une communion entière ; ses vers sont venus chanter sur toutes les lèvres ; il a été le poète de son temps et de sa race, le poète national, le poète officiel, comblé de gloire et tendrement aimé. Et cette œuvre, aussi anglaise que celle d’un Kipling, n’en garde pas moins une valeur universelle et humaine. La poésie de Tennyson, à force de sympathie, pénètre jusqu’à ces profondeurs de la vie intérieure où s’effacent les différences locales et les particularités. Cette « musique tennysonienne, » qui a enchanté l’Angleterre, nous perdrions tous à ne pas l’entendre.


L’humanité demande à ses représentans les plus parfaits de l’aider à vivre. Qui nous fera aimer notre tâche, si ce n’est eux ? Qui nous donnera la force, et la foi, et l’espoir ? Parlez-nous donc de la vie ; parlez-nous de nos labeurs et de nos peines, parlez-nous de nos frères, et de nous-mêmes. Soyez vrais : il faut que nous reconnaissions ces réalités dans vos paroles. Mais il