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Mais ces pièces anglaises, essentiellement anglaises, convenaient-elles davantage ? Irving déclarait que Becket était un des trois plus grands succès de sa direction au Lyceum. Il est vrai qu’il l’avait adaptée pour le théâtre. Malgré le nom glorieux de l’auteur, Queen Mary ne tint l’affiche que trois semaines. Harold n’a pas, croyons-nous, été joué. A dire vrai, ce sont moins de véritables drames, avec intrigue, progression de l’intérêt, concentration des élémens autour d’une « crise, » que de grandioses tableaux où se détachent des figures historiques, reconstruites avec le plus grand soin, pièce à pièce, selon toutes les ressources de l’analyse soutenue par l’imagination. Après la publication de son premier drame, George Eliot et Browning pressèrent Tennyson d’en écrire d’autres. Ils avaient raison, et sans doute ne se préoccupaient-ils point de ce qui en pourrait advenir sur les planches. Ils y trouvaient un autre intérêt, et, en effet, en composant ces grandes pièces, Tennyson n’a pas seulement voulu répondre à ceux qui lui reprochaient de manquer de force, de ne pouvoir dépasser la poésie gracieuse, il n’a pas seulement obéi au noble désir de tenter à son tour un effort pour remettre en honneur un genre national et relever le théâtre anglais de sa déchéance : il a surtout suivi l’inspiration de son génie, et il est resté un très grand poète.

Mais c’est à la poésie narrative qu’il faut revenir pour trouver l’imagination de Tennyson dans son domaine et lui voir épanouir pleinement ses plus beaux dons. Les Idylles du Roi furent, on peut le dire, le grand dessein du poète. Il en composa d’abord le dernier tableau, comme un poème se présente souvent par son dernier vers, et, dès 1834, il écrivait, d’après le vieux Malory, Mort d’Arthur, qui parut dans le recueil de 1842. Mais ce ne fut qu’en 1855 qu’il se décida sur la forme définitive de l’œuvre, et en 1859 qu’il en publia la première portion : Enid, Vivien, Elain, Guinevere. L’ensemble n’est achevé qu’en 1889. Cinquante-cinq ans ! Encore faudrait-il peut-être remonter plus haut, jusqu’aux années 1830 et 1832, où il touchait pour la première fois aux légendes arthuriennes avec The lady of Shalott, Sir Launcelot and Queen Guinevere, Sir Galahad. Le thème que Tennyson appelait « le plus grand de tous les sujets poétiques » ne cessa donc de l’obséder. L’œuvre qu’il lui a inspirée embrasse et résume toute son activité poétique ; elle représente son plus grand effort, elle reste la plus ample de ses réalisations. C’est un merveilleux