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surpassée dans aucune langue ni aucun temps[1]. L’art de Tennyson, dont notre analyse, soutenue par les impressions d’un auditeur du poète, ne peut donner qu’une faible idée, a revêtu d’une suprême beauté cette inspiration nationale. On en pourrait dire autant des poèmes qu’il a consacrés à l’armée[2], à la flotte[3]ou à l’Empire[4], et notamment du plus beau de tous, du plus digne d’être cité à côté de l’Ode sur la mort du Duc de Wellington : Le Vengeur, Ballade de la flotte, où est célébré l’héroïsme de sir Richard Grenville, le fameux marin du XVIe siècle. Il y a dans tous les détails un si tendre amour de la terre des aïeux, un si grand respect de toutes ses gloires, un si fidèle souvenir de tous ses serviteurs ; l’inspiration reste toujours si loin du lieu commun patriotique, si près du sol et de la race ; tout est si anglais : le sentiment, l’imagination, le tour d’esprit et l’accent des moindres paroles, que cette poésie résonne comme l’hymne même de la nation, capable de faire battre tous les cœurs et de contribuer à l’éducation de toutes les âmes.


V

A mesure que s’épanouissait et s’enrichissait son génie, Tennyson devait être naturellement conduit à en rapprocher et en fondre les divers élémens dans des œuvres plus vastes, où il donnerait la mesure de ses pouvoirs créateurs. Il s’était contenté de sentir et de rêver : il voulait imaginer et construire. Il allait tenter, à côté du chant lyrique, le poème narratif et le drame.

Son premier essai fut La Princesse (1847). Le poète n’était pas encore dans la pleine maturité de ses moyens. Le style est trop chargé d’ornemens, trop souvent figuré ou allégorique. Il y a trop de disparates, qui donnent à l’œuvre une bigarrure étrange. Sans, doute l’Angleterre est moins sensible que nous à de tels défauts : son goût a moins de mesure, et son luxe moins de discrétion. Elle fut néanmoins un peu déconcertée par cette

  1. Letters of R. L. S. vol. I, p. 220.
  2. The charge of the Light Brigade, II, 225 ; — The Defence of Lucknow, VI, 138 ; — Prologue to general Hamley, VI, 305 ; — The charge of the Heavy Brigade, at Balaclava, VI, 307.
  3. The Revenge : a Ballad of the Fleet, VI, 96.
  4. Hands ail round, II, 322, VI, 335 ; — Opening of the Indian and Colonial Exhibition by the Queen, VI, 345.