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dans de vieux papiers ? « Myrice est plein de mérite. Il sait du grec, du latin, de l’histoire, de la philosophie autant qu’homme de France puisse en connaître. Il sait même le français et il est le seul peut-être parmi nos beaux esprits qui se connaisse au siècle de Ronsard et de Montaigne, sans quoi l’on n’a guère qu’une Connaissance mondaine, pour ainsi parler, de notre langue. Il excelle à bien voir les gens et à les bien peindre. Ascagne est statuaire, Hégion fondeur, Œschine foulon, et Myrice peintre de portraits. C’est sa profession. Quand il en sort, il est faible, soit en philosophie, quoiqu’il la sache, soit en politique, soit même en critique, quoiqu’il ait dit, en cette affaire, un petit nombre d’excellentes choses. Il a beaucoup d’esprit et du plus fin, quoiqu’un peu cherché et quoiqu’on voie qu’il se travaille à dire de bons mots. Il écrit non seulement « raisonnablement, » comme il a dit qu’il faut faire, mais presque « merveilleusement, » avec une façon inconnue jusqu’à lui, qui étonne les vieillards, qui ravit les jeunes gens et les femmes, qui, selon qu’elle sera acceptée ou rejetée par la postérité, demeurera un accident curieux et intéressant, ou deviendra une manière nouvelle d’écrire en français, un nouveau style, qui remontera à Myrice comme à son origine. Il est domestique d’un grand prince qui ne fait pas grande attention à lui, et il n’y a pas de doute qu’il n’ait visé aux grands emplois et qu’il n’y en ait peu dont il ne s’imagine qu’il ne soit en passe. Il n’en a obtenu aucun, dont il enrage en feignant de n’en avoir cure. Il n’en est pas moins qu’il ne peut souffrir ceux qui les ont, ni leurs façons, ni leurs airs. Il souffre de n’être point salué ou de l’être peu, ou de l’être comme en cachette, ou de l’être aujourd’hui quand il ne l’était pas hier, ce qui lui fait appréhender de ne l’être pas demain. Quelque ancien a dit de soi : Minime omnium salutator ; Myrice pense de soi : Maxime omnium salutandus. On ne peut s’empêcher de se demander si Molière n’a pas prévu Myrice quand il a dit :


Son mérite jamais n’est content de la cour,
Contre elle il fait métier de pester chaque jour,
Et l’on ne donne emploi, charge ni bénéfice
Qu’à tout ce qu’il se croit on ne fasse injustice.


Il a tout désiré, rien demandé, rien obtenu et de tout ce qu’il a souhaité et manqué il se console par en médire. Bon homme au fond, charitable, droit et point adroit, estimé des plus