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l’on n’aurait pas voulu confier la moins importante affaire d’une maison particulière, a toutefois dans ses mains les affaires de toute une province et les intérêts publics… On en souffre, on en gémit, le bon droit est vendu, la justice est renversée… »

Contre la magistrature elle-même, ses mœurs, ses habitudes d’esprit, ses vices, sa servilité, ils disent ; le Père de la Rue : « Qu’a-t-on vu quelquefois dans une jeunesse parée de la pourpre, mais ennemie de toute occupation sérieuse ? Que savaient-ils et, dans la conduite qu’ils tenaient, que pouvaient-ils savoir ? Ils savaient se divertir et se réjouir ; ils savaient se répandre dans le monde, parcourir les compagnies et s’y distinguer par les agrémens de la conversation ; ils savaient tenir leur place dans les jeux…, ils savaient fréquenter les théâtres,… mais ils ne savaient rien de leurs obligations les plus étroites et de ce qu’ils ne pouvaient ignorer sans crime. »

Le Père Bourdaloue : « Maintenant, c’est le crédit qui l’emporte et qui a, presque partout, gain de cause. Le plus fort a toujours raison, quoi qu’il entreprenne… Combien de familles ruinées parce que le bon droit, attaqué par une partie redoutable, n’a point trouvé de protection !… Malgré la justice et les lois, le faible succombe presque toujours. »

Le Père Bourdaloue encore, touchant une matière un peu plus délicate : « Combien de juges ont été pervertis par le sacrifice d’une chasteté livrée et abandonnée ; et pour combien de malheureuses la nécessité de solliciter un juge impudique n’a-t-elle pas été un piège et une tentation ! »

Contre le fait du prince, qui, s’il n’a pas disparu avec les princes, avait, même du temps des princes, une assez grande autorité, ils disent ; Bossuet : « Cette justice qui fait semblant d’être rigoureuse à cause qu’elle résiste aux tentations médiocres et peut-être aux clameurs d’un peuple irrité ; mais qui tombe et disparaît tout à coup lorsqu’on allègue, sans ordre même et mal à propos, le nom de César. Que dis-je, le nom de César ! Ces âmes, prostituées à l’ambition, ne se mettent pas à si haut prix ; tout ce qui parle [au prince], tout ce qui approche du [prince], ou les gagne, ou les intimide ; et la justice se retire d’avec elles. »

L’abbé Boileau : « Le crédit est une espèce de jurisprudence dont on n’a garde de s’écarter ; et qui n’aurait pour toute protection que la bonté de sa cause serait fort en danger de la perdre. »