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pour cela qu’à me souvenir de mes conversations et de mes rapports avec les élèves orientaux des Jésuites. Leur éducation ne les a ni déprimés ni endormis. Ce sont des gens très actifs, très entreprenans, et, en général, d’une belle indépendance d’idées. Si beaucoup sont restés croyans, il y en a d’autres qui sont libres penseurs. Chez les mieux doués, j’ai constaté un sens littéraire, un souci du bien-dire, une élégance d’esprit et, parfois, une curiosité intellectuelle qui ne se rencontre pas déjà si souvent, même en France, chez les anciens élèves de nos lycées. Par-dessus tout, ce sont, d’habitude, des gens bien élevés : ce qui ne les empêche pas de faire parfaitement leurs affaires, et même « des affaires ! »

Leurs femmes, sans avoir leur culture, ne leur sont point inférieures. Presque toutes ont passé par les couvens de nos religieuses. Il en est de fameux, en Orient, comme l’étaient autrefois, dans nos chefs-lieux, tels couvens de l’Assomption ou du Sacré-Cœur. D’y avoir été élevée, cela confère une sorte de lustre à une jeune fille. Par exemple, on reconnaît tout de suite une ancienne élève de Pankaldi, le pensionnat élégant de Constantinople, ou de Ramleh, le grand pensionnat d’Alexandrie, qui est dirigé, comme l’autre, par les Dames de Sion et qui a pour supérieure une Française de la plus haute distinction, la fille de Prévost-Paradol. Évidemment, ces Levantines n’ont pas le brillant de nos Parisiennes, ni leur liberté d’allures ou d’opinions, et il est clair que le bagage de leurs connaissances n’est pas toujours très considérable, ni très varié. Mais, pour l’instant du moins, cette éducation est très exactement adaptée aux mœurs d’un pays où le féminisme est inconnu et où des doctoresses et des propagandistes révolutionnaires feraient scandale. Aux yeux de ces jeunes femmes, comme à ceux de leurs maris, il suffit bien qu’elles soient des mères de famille et des maîtresses de maison irréprochables. J’ai eu l’occasion d’être reçu par quelques-unes d’entre elles, mariées à des Français qui occupaient, en Orient, de hautes situations : ces anciennes couventines de Beyrouth ou d’Alep faisaient très honorable figure parmi les dames européennes qui, dans leur salon, parlaient musique ou littérature. Enfin, leurs ménages étaient exemplaires. N’est-ce point l’essentiel ? Et, si l’on songea ce qui reste, chez nous, d’une instruction complète, — les licences, les baccalauréats, ou les brevets supérieurs une fois obtenus et enterrés ; — si l’on