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En somme, il n’est guère possible de procurer un meilleur gagne-pain à ces jeunes Palestiniennes : une éducation plus ambitieuse serait au moins inutile, sinon déraisonnable et dangereuse. La supérieure me l’affirme, et elle ajoute :

— Nous avons aussi des Bédouines, — des Bédouines chrétiennes !… Nous les marions le mieux que nous pouvons. Elles s’en retournent dans leurs montagnes de Moab. Mais nous ne les perdons jamais de vue. Quand elles ont des enfans, nous leur envoyons des langes, des berceaux… Quelques-unes nous reviennent de temps en temps. Elles nous disent qu’elles sont heureuses… Que voulez-vous ? Il est certain que ce qu’elles ont appris ici ne leur sert pas beaucoup dans leurs pays perdus. Mais elles essaient de civiliser un peu leurs maris, leur entourage !

Malgré la modestie de la restriction, je pensais : « Vraiment, cela est admirable ! » Et, me rappelant qu’il existe une foule d’autres maisons semblables à Jérusalem et dans la banlieue, — que dis-je ! dans toute la contrée, depuis Nazareth jusqu’à Gaza, je ne doutai plus que la Palestine ne fût à la veille d’une transformation et d’une régénération complètes.

Hélas ! je suis bien forcé d’en rabattre. Il en est à Jérusalem, comme dans le reste de l’Orient, comme aussi dans cette Algérie française, où des méthodes analogues sont appliquées pour le relèvement de nos Arabes. Enseigner une langue, quelques formules d’examen, la pratique de la couture ou du repas sage, cela est, en général, facile. Mais changer le caractère, améliorer ou redresser les mœurs d’un pays, quelle entreprise écrasante et décourageante ! Je ne sais trop ce que deviennent les petites malheureuses éduquées dans les écoles primaires et les orphelinats de Judée. Mais, ce qui m’adonne à réfléchir, — aussi bien à Jérusalem que dans les autres villes circonvoisines, — c’est le pullulement du voyou levantin. Ces enfans adoptifs de la civilisation européenne ne sont même pas toujours respectueux pour leurs maîtres. Il faut entendre de quel ton ils lancent à tout personnage en soutane : « Eh ! bonjour, mon Père ! » et il faut voir de quelles familiarités indiscrètes et de quels quolibets ils les poursuivent. Devenus grands, ils ne font rien, ou si peu que rien : cireurs de bottes, camelots ou pisteurs d’hôtels, voilà pour le plus grand nombre. C’est une tourbe de déclassés. Les meilleurs sont drogmans, domestiques, brocanteurs d’objets