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travers le dédale des petites rues arabes. Ce fut pour moi le chemin des écoliers, une course vagabonde, fertile en spectacles imprévus et pittoresques. Dans cette vieille ville syrienne, où se réfugièrent maintes familles algériennes, au lendemain de la conquête française, je retrouvai presque le décor et la figuration de nos casbahs africaines : les ateliers des tisserands, les brodeurs accroupis sur le seuil des échoppes et dévidant leurs bobines de soies, les enlumineurs de coffres, les selliers à demi dissimulés derrière l’étalage de leurs cuirs historiés, de leurs laines teintes en couleurs vives et de leurs verroteries. Les ruelles se resserraient en longs couloirs obscurs, tantôt voûtés, tantôt recouverts de toiles ou de légers abris en feuilles de palmiers… Et puis, soudain, au sortir de cette pénombre, la lumière brusque d’un étroit carrefour, où il y a tout juste la place pour un jet d’eau qui fuse vers un pan de ciel bleu. J’étais à cent lieues de la pédagogie française et je finissais par perdre de vue le but austère de ma promenade.

Après bien des détours, on m’indique enfin la maison de l’Alliance. Elle est à peu près aveugle au dehors, comme toutes les bâtisses indigènes. Mais elle cache, à l’intérieur, un patio qui est une merveille, une cour dallée de marbre, avec une vasque au centre, un promenoir à colonnade, un liwan recouvert de faïences et de boiseries compliquées et délicates. Il y fait grand jour et il y fait sombre. Partout des coins d’ombre bleue, et des espaces miroitans où rit le soleil ! Cette maison délicieuse et fraîche est une école déjeunes filles.

La directrice, très aimable, me fait les honneurs de ce lieu d’enchantement. Sans doute, elle est aussi instruite qu’aimable : car elle est ancienne élève d’Auteuil, si j’ai bonne mémoire. En tout cas, elle a étudié en France. Tout de suite, elle gémit sur l’incommodité du local, si mal approprié aux exigences du confort et de l’enseignement modernes. Moi qui étais encore sous le charme de ma première impression, j’eus la lâcheté de ne pas défendre le vieux logis, et, par galanterie, je m’associai aux doléances de l’institutrice… Mais, sans plus tarder, la voici qui m’emmène dans la classe des grandes, — des fillettes de douze à quatorze ans. Et ce fut la séance d’inspection dans tout sou sérieux. Sur l’injonction de la maîtresse, une des fillettes nous lut un morceau de prose française. Elle s’en acquitta avec beaucoup d’intelligence. Cette petite Juive de Damas avait une