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conditions que, plus réservé que M. Clemenceau, nous aimons mieux ne pas préciser davantage. Il a pu y avoir des erreurs et des fautes dans sa politique, mais il n’en est résulté pour nous aucune humiliation. Nous sommes allés à Algésiras la tête haute, et nous en sommes revenus de même avec tous nos intérêts saufs : pourquoi ? parce que la politique de M. Delcassé nous avait assuré des concours et des appuis dont aucun ne nous a manqué dans les momens difficiles. Mais laissons cela. M. Clemenceau n’a pas tardé à s’apercevoir que la colère l’avait égaré, et que l’indignation de la Chambre n’était pas feinte. Il a été renversé par 212 voix contre 176. Singulière destinée d’un homme qui a été longtemps puissant par sa parole et qui, au déclin de sa carrière parlementaire, est trahi par elle !

Sa chute, au premier moment, a fait naître plus de préoccupations au dehors qu’au dedans, ce qui aurait fort surpris si on l’avait annoncée lorsque M. Clemenceau est arrivé au ministère. On l’a surtout regretté en Allemagne et en Autriche : on l’a regretté aussi en Angleterre, mais on l’y aurait regretté encore davantage s’il n’était pas tombé en attaquant M. Delcassé. Au surplus, tout le monde s’est rassuré quand on a vu que M. Pichon restait dans le nouveau ministère et qu’il y avait dès lors lieu de croire que la politique générale ne serait pas changée. A l’intérieur, la situation était plus confuse. M. Clemenceau avait été victime d’un accident tout personnel, le lendemain même du jour où sa politique avait été approuvée par la Chambre : dès lors, l’opinion a été exprimée dans les milieux parlementaires que la crise devait être réduite au minimum et que, en somme, il suffirait de remplacer M. Clemenceau à la tête du Cabinet. Deux noms ont été mis en avant tout de suite, l’un pour la forme, et c’est celui de M. Léon Bourgeois, l’autre pour tout de bon, et c’est celui de M. Briand. Lorsqu’un ministère tombe, il paraît qu’on doit offrir sa succession à M. Bourgeois, sachant d’ailleurs très bien qu’il la refusera pour des raisons de santé : c’est un rite établi, on manquerait à toutes les traditions si on ne l’accomplissait pas. L’inconvénient est que cela fait perdre du temps. La fois précédente, M. Bourgeois était en Sicile, d’où il a envoyé un télégramme pour supplier qu’on ne l’obligeât pas à faire un voyage inutile. Cette fois, il était dans les pays septentrionaux, ou plutôt en voie d’en revenir, sans qu’on sût exactement où le prendre. Après avoir attendu, pendant un temps décent, sa réponse à une proposition qu’on n’avait d’ailleurs pas pu lui faire parvenir, M. le Président de la République a passé outre et s’est adressé à M. Briand. Il l’a chargé de former un Cabinet. Aussitôt les radicaux et radicaux-socialistes ont