Page:Revue des Deux Mondes - 1909 - tome 52.djvu/719

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

depuis qu’il a quitté le pouvoir, s’est consacré de la manière la plus estimable à l’étude des questions maritimes, et il connaît aujourd’hui son sujet tellement à fond qu’il est difficile de lui en remontrer. Déjà, dans une circonstance récente, un discours d’une demi-heure lui a suffi pour renverser le ministre de la Marine, qui était alors M. Thomson. Cette première discussion, les faits qui l’avaient provoquée, ceux qui l’ont suivie et qui n’ont pas dissipé l’inquiétude publique, ont rendu nécessaire la nomination d’une Commission d’enquête dont M. Delcassé a été élu président. Les travaux de la Commission ont duré deux mois : puis un nouveau débat s’est ouvert devant la Chambre. Aucun des soupçons qu’on avait fait ou laissé naître sur la parfaite probité de notre administration maritime et sur celle des administrations privées qui sont en rapport avec elle, n’a été confirmé ; mais il a été évident que le désordre règne dans les services de la marine ; que les efforts les plus méritoires y sont inefficaces, parce qu’ils manquent de concentration et de direction ; que l’autorité, étant partout, n’est nulle part. Divers orateurs en ont donné des preuves frappantes, et M. Delcassé, qui a parlé le dernier, les a réunies en faisceau avec une habileté et une force qui ont produit une grande impression. Il n’a pas hésité à prendre à partie M. Clemenceau lui-même, qui, ayant, lui aussi, présidé autrefois une enquête sur la marine, connaissait l’état des choses. Ni cette connaissance qu’il en avait, ni sa responsabilité de chef du gouvernement ne lui permettaient de s’en désintéresser : il l’a fait cependant avec une étrange désinvolture. M. Delcassé a rappelé son mot : « Je ne me sens nullement responsable du désastre de l’Iéna. » M. Clemenceau n’aurait eu le droit de prononcer un pareil mot que si, une fois arrivé au pouvoir, il avait fait quelque effort pour parer au mal ; mais qu’a-t-il fait ? Rien.

Ainsi mis en cause, M. Clemenceau a vu rouge et, comme le taureau, s’est précipité sur l’adversaire ; il a cru, le système lui ayant assez souvent réussi, qu’il lui suffirait de foncer sur l’homme pour se dispenser de lui répondre. « M. Delcassé, a-t-il dit, a rappelé à la tribune que j’avais été président de la Commission d’enquête de 1904, mais il me semble qu’en ce temps-là M. Delcassé était ministre et qu’il ferait très bien de s’appliquer les excellens conseils qu’il a bien voulu me donner. Cela eût été d’autant plus nécessaire qu’il nourrissait déjà dans sa pensée les grands projets de politique européenne qui devaient nous conduire à Algésiras. Rappelez-vous ce temps, et dites s’il est acceptable que l’homme qui nous a conduit à Algésiras mette