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Puis on apprend la continuation de la marche triomphale du Roi, pompeusement reçu à Pise, et salué par Savonarole du titre de « grand exécuteur de la justice divine ! » puis, la nouvelle de l’entrée à Florence, et les fêtes splendides données par la Seigneurie. Et ici, à Sienne, le peuple, avide de fêtes et de jeux, désire maintenant cette représentation extraordinaire dans ses murs, et la prépare, un peu ému, cependant, par les bruits qu’on répand de pillages à Florence, et aussi par l’installation, sur le « Prato, » de trente bombardes de bronze, avec des approvisionnemens de boulets de fer, et un millier de cavaliers pour le service de ces engins !

Et Tizio rapporte une nouvelle qui maintenant court la ville, égayant aussi bien les seigneurs français que les Siennois, par sa gaillardise, mais qui dut, par les conséquences qu’elle pouvait avoir, provoquer d’inquiètes réflexions chez le cardinal. L’armée de Montpensier avait marché si vite qu’elle était déjà entrée à Viterbe, ville du Pape. Le duc de Calabre, propre fils du roi de Naples, avait battu en retraite sans même essayer de défendre la place, close pourtant de bonnes murailles. Malgré ses appréhensions, le Pontife était loin de s’attendre à une si rapide débâcle, à tel point que la belle Giulia Farnèse, qui était « le cœur et les yeux du Saint-Père, » était allée avec une suite de dames, de demoiselles d’honneur, et une escorte d’une trentaine de personnes, assister à la noce d’une parente, dans la campagne de Montefiascone. Elle venait de quitter le château des Farnèse, Capodimonte, et retournait paisiblement à Viterbe, auprès de son frère, le cardinal[1]. Sur une des éminences qui dominaient la route, on aperçut tout à coup un gros de cavaliers ; on les prit pour des partisans de Mgr le duc de Calabre, venant saluer la favorite : c’étaient les coureurs de M. d’Alègre[2], gentilhomme de l’avant-garde de Montpensier, et qui, sans respect, s’emparèrent de tout ce brillant cortège. Et quand le baron d’Alègre apprit quelles étaient ces belles dames, il leur imposa une rançon de 3 000 livres et informa immédiatement le Roi, tandis que la Giulia écrivait au Pape, pour demander l’argent exigé.

  1. Alexandre Farnèse, nommé cardinal par la faveur de sa sœur, et surnommé pour cette raison « Cardinale della Gonella » (le cardinal du jupon), devint le pape Paul III.
  2. Yves II d’Alègre devint, après la conquête de Charles VIII, gouverneur de la Basilicate.