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Lucques, 5 novembre 1494.

«… Hier, vers l’heure des vêpres, un chambellan du Roi Très-Chrétien, M. de la Volta ( ? ), est venu m’apporter des lettres de son maître. Sa Majesté aurait, — paraît-il, — récemment écrit à Rome pour demander à Votre Sainteté de ne pas me maintenir comme ambassadeur auprès d’Elle, car Elle connaîtrait mes attaches et celles de ma famille avec le parti de ses adversaires, et saurait que je suis personnellement partisan du roi de Naples. Elle aurait, en outre, été informée que j’étais chargé de missions secrètes hostiles à sa cause ; je pouvais donc, — me fut-il dit, — vaquer à ma guise à ces dernières, mais Sa Majesté ne me recevrait pas ; et enfin, il Lui serait parvenu de Sienne avis que j’avais conseillé aux Siennois de ne pas accorder de vivres à sa flotte ! Tout cela, M. de la Volta me l’insinua avec la plus grande discrétion, se montrant excessivement réservé dans ses paroles.

« Je lui répondis que, tout d’abord, je n’avais nulle connaissance des lettres écrites à Rome par Sa Majesté Très-Chrétienne ; quant au soupçon dans lequel Elle me tenait, je lui représentai que j’étais un simple cardinal et bien indigne d’un si haut titre, et que, dans les consistoires, missions, et toutes autres circonstances où il s’était agi des intérêts de l’Eglise, j’avais toujours parlé ouvertement, pour l’honneur et la bonne cause du Saint-Siège apostolique, et en m’en remettant humblement à l’avis de mes très révérends collègues du Sacré-Collège.

« Quant à ma famille et aux miens, j’avais plus à m’en glorifier qu’à en rougir, et à rendre grâce à Dieu qu’il m’ait donné d’être neveu d’un Pontife tel que fut Pie II, et d’avoir les très chers neveux que j’ai dans le royaume de Naples.

» J’affirmai n’avoir été chargé par Votre Sainteté d’aucune mission contraire à la cause française, mais uniquement de me rendre à Asti, où l’on disait qu’était Sa Majesté à l’époque de mon départ, pour La visiter, La saluer, La bénir, en votre nom. J’avais à Lui porter tous les sentimens d’affection dont L’entoure Votre Béatitude, et à Lui représenter avec quel absolu désintéressement Votre Sainteté voudrait détourner et apaiser tout ce tumulte guerrier en Italie, alors que les Turcs sont à nos portes ; à La supplier et à tâcher de La convaincre de remettre sa cause non aux armes, mais à l’équitable juridiction du Très Saint-Père,