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sculpteur et ciseleur de l’époque, maître Matteo Civitale. Ce temple se fermait, de façon que la Sainte Image ne risquât pas d’être volée aux Lucquois, comme l’anneau d’or de la mère de Jésus, enlevé par les gens de Pérouse, au doigt même de la Vierge, dans la cathédrale de Sienne !…

Le Roi n’écoutait plus que vaguement, car il songeait maintenant à aller à Lucques, voir cette précieuse effigie, aux rayons de laquelle fleurissaient les lys de France. Et il pensait aussi qu’il avait promis aux députés des Pisans de se rendre dans leur cité pour examiner leurs démêlés avec les Florentins, et faire justice, car il se considérait dès lors comme le grand justicier de l’Italie, et son devoir était d’y réformer les mauvaises choses et d’y faire naître le droit.

Il demanda alors si l’on pouvait gagner Pise en passant par Lucques, et on lui répondit que ce n’était pas un long détour. Il voulut cependant s’en convaincre et dit à Guillaume Bougier, son secrétaire, de lui montrer cette carte d’Italie que son agent à Ferrare, Jacques Signot, avait dressée pour l’ « entreprise. » Les villes et les forteresses y étaient marquées par leurs maisons, tours et murailles, ainsi que les montagnes entre Gaule et Italie avec leurs principaux passages, et aussi les grands fleuves et la chaîne des Apennins. Tout cela figurait une longue et mince bande encadrée par deux mers, et dans un coin, Venise formait une île aussi grosse que la Corse ou la Sicile dans leurs eaux respectives.

Le Roi y jeta un coup d’œil, ne put se rendre compte de l’itinéraire, car la confusion des noms et des choses rendait cela impossible ; mais, en lui-même, sa décision de se rendre à Lucques était bien arrêtée.

Pendant que Charles se délassait ainsi des graves préoccupations de l’expédition, Mgr de Saint-Malo lui annonça qu’un messager avait remis des lettres du cardinal de Sienne, sollicitant une audience au nom du Pape dont il était le légat.

Le Roi eut recours, — comme chaque fois qu’il était question des choses du Saint-Siège, — au cardinal de Saint-Pierre-aux-Liens, et le fit demander. Et tout de suite, celui-ci, sans respect pour la Majesté Royale, et comme s’il eût été en face d’un de ses égaux[1], se mit à s’emporter contre le Borgia, ce scélérat qui

  1. Tizio, Historiæ Senenses (t. VI, f° 229) raconte la façon dont le cardinal de la Rovere parle au Roi : « Julianum vidi regem fenestræ incumbentem ita audenter in faciem, quasi ad aurem, alloqui, ut non videretur ipsum regem multifacere. »