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envisagée avec son frère André ; chaque jour causant un nouvel échec à la politique aragonaise, il ne se sent plus l’ambassadeur d’un maître presque divin, allant porter des paroles graves à un monarque qui lui a manqué de respect ; il comprend qu’il faut baisser le ton, et nous verrons, par une de ses prochaines lettres au Pape, celui qu’il va adopter.

Mais, ce jour-là, il se décide à quitter Florence, où il craint des émeutes qui pourraient porter atteinte à sa dignité de légat de l’Eglise ; il se dépêche de gagner Lucques, où il se figure qu’il sera en sûreté, pour attendre la réponse à une demande d’audience qu’il vient d’adresser au Très-Chrétien, et qu’il fait porter en hâte, par un secrétaire, à Monseigneur de Saint-Malo, se recommandant, lui cardinal ambitieux de la tiare, à cet évêque ambitieux du chapeau.


V. — LE ROI DE FRANCE A SARZANE. — LE VOULT DE LUCQUES

Dès le 1er novembre, le Roi était à Sarzane. Il s’y était rendu aussitôt que cette forteresse avait été livrée par Piero, car, depuis Pontremoli, il marchait avec l’avant-garde de son armée ; et il était tout joyeux que ce nid d’aigle, aux belles murailles, fut ainsi tombé en son pouvoir sans coup férir, alors qu’il eût été si dur de l’enlever de force. Décidément, « Dieu montrait conduire l’entreprise[1]. »

Encore mal remis de la grave maladie qu’il venait de faire, le Roi comptait se reposer pendant quelques jours, et, comme passe-temps, dans l’intervalle de ses conseils, il faisait venir les gens renommés pour leur bon esprit et leur religion, et se plaisait à leur faire raconter les pratiques de dévotion aux saints et aux reliques du pays, et aussi les prophéties locales, espérant toujours en trouver une qui s’appliquât à son « entreprise. » Parmi les images miraculeuses dont cette Italie était remplie, on lui en avait cité une qui excitait vivement sa curiosité ; il en avait déjà entendu parler en France où elle était connue sous le nom de « Saint Voult de Lucques : » c’était en réalité une statue du Sauveur.

Un chanoine du chapitre de Sarzane, très expert en ces choses, avait été convoqué pour en instruire le Roi, et comme il n’était

  1. Comines.