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Calabre pour tomber, eux aussi, sur les Français. Ce serait alors le réveil de l’Italie, la déroute des Barbares !

Certes, le Très-Chrétien, si on pouvait lui bien montrer ces choses, et la volonté arrêtée du Saint-Père de faire cause commune avec. Naples, réfléchirait et accepterait les propositions du cardinal !…

Et tous trois se reprennent à espérer, escomptant en eux-mêmes le trésor de bénéfices qui jaillit de la tiare, inépuisable ! André voit pour son fils Giovanni le chapeau de cardinal, et de belles principautés pour les autres, et Tizio, malgré ses sinistres augures, se voit abbé, chanoine, peut-être évêque.


IV. — A FLORENCE. — LA FUITE DE PIERO

Le 29 octobre, comme le cardinal venait de quitter la Chartreuse d’Ema, et se mettait en route vers Florence qui n’était plus éloignée que de quelques milles, un seigneur le rejoignit : c’était don Aloysio, agent du roi Alfonse d’Aragon. Il apprit au Légat que Piero de Médicis avait subitement quitté la ville, le 26 octobre, et s’était rendu auprès du Roi de France. Il ne put guère ajouter d’autres détails, car on venait à peine d’être fixé sur le but suspect du voyage de Piero.

L’annonce de ce coup de théâtre consterna le cardinal.

Il gravissait les dernières hauteurs qui cachaient encore Florence : au sommet de la montée était le monastère de San Gaggio, et, tout d’un coup, l’horizon s’ouvrait démesurément, les lignes sinueuses de montagnes lointaines s’allongeaient en un immense cercle bleuâtre en avant duquel se détachait la double colline de Fiesole ; en bas de toutes ces pentes, dans la concavité de cet harmonieux amphithéâtre, Florence, blanche de l’éclat de ses marbres, rose des teintes rousses de sa coupole et de ses murs d’enceinte, dressait dans le ciel cendré de l’automne ses 284 tours et clochers ; et, par places, comme des écailles d’argent miroitantes, l’Arno brillait au milieu des prairies encore vertes ou disparaissait entre des masses de palais et de maisons.

A San Gaggio, une multitude de peuple attendait le Légat pour lui faire honneur ; un des Médicis[1]était venu au-devant

  1. Lettre du cardinal de Sienne au Pape (Florence, 29 octobre 1494).
    Ce Médicis est qualifié dans la lettre « Reverendissima Dominatio et Magnifici Pétri germanus. » Il semble donc que ce soit Jules de Médicis [le futur Clément VII], alors âgé de 17 ans, fils posthume de Julien, oncle de Piero.