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récemment proposée le cardinal de Gurck[1] : détourner Charles VIII de Rome en le sacrant empereur de Byzance, sous la condition de mener immédiatement contre les Turcs cette croisade qu’il disait à l’origine être le but principal de son entreprise. À ce monarque chevaleresque et plein de foi, il serait facile de montrer le péril permanent de la chrétienté, l’urgence de chasser les infidèles de Grèce, et, dans cette guerre sainte, un but vraiment digne de sa bravoure et des traditions de ses ancêtres : on sait, dans l’entourage du Roi, d’influens seigneurs qu’on amènerait aisément à cette idée, et l’oncle lui-même du Roi, Philippe de Bresse, et le maréchal de Gié, et Mgr de Ligny, et tant d’autres, qu’on pourrait intéresser à ce plan ! Et quant à l’évêque de Saint-Malo[2], le conseiller écouté de Charles, il a trop laissé voir que le chapeau de cardinal est le vrai objet qu’il poursuit en poussant son maître à Rome ; une bonne promesse le ferait changer d’opinion.

Déjà, pour cet objet, le terrain est tout préparé, — du moins à Rome ! — on a sous la main l’héritier des empereurs d’Orient, qui vit à la Cour même du Pape, entouré des honneurs souverains : c’est André Paléologue, despote de Serbie, dont le portrait s’étale sur la muraille, devant les yeux du Pontife. Et Gurck a obtenu de lui la renonciation de ses droits héréditaires sur Byzance et Trébizonde. Cette couronne impériale, autrement glorieuse pour le Très-Chrétien que celle de Naples, le Pape la lui reconnaît d’avance, et, oublieux dans ce cas de l’aventure d’Ostie, arrangera un accommodement avantageux pour le Roi de France avec Alphonse d’Aragon. Mais, à la réflexion, ce moyen, où s’est complu l’ingénieuse diplomatie de Gurck, doit sembler au Pape un peu naïf ; il n’ose s’y attacher. Et pourtant, le temps presse : le Roi, atteint de la petite vérole, a été retenu à Asti pendant quelques semaines ; et, peut-être, le Pape a-t-il espéré que cette maladie, malignement qualifiée à Rome mal francese mettrait fin à ses angoisses. Aujourd’hui, Charles est guéri, et le bruit court qu’il va se remettre en marche, plus passionné que jamais pour son « entreprise. »

Pendant un long mois que le Pape et le cardinal mettent à étudier cette ambassade, aucun événement favorable ne permet

  1. Raymond Perault, évêque de Saintes et cardinal de Gurck, né en Saintonge.
  2. Guillaume Briçonnet, évêque de Saint-Malo et de Nîmes, cardinal en 1495 du titre de Sainte-Pudentienne.