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pompe dont il entoura le départ de son légat, Alexandre VI avait fondé de grandes espérances sur cette ambassade, et y attachait une haute importance. Elle a pour nous cet intérêt de bien représenter la conduite très hésitante du Pontife vis-à-vis du Roi de France pendant toute cette première partie de son expédition. Durant les deux mois qu’il met à traverser l’Italie, de Rome à Lucques, par Sienne et Florence, et à solliciter une entrevue du monarque français, le cardinal écrit[1]au Pape pour le tenir au courant des événemens qui viennent modifier du tout au tout la ligne de conduite convenue, et enfin lui décrire le désespoir qu’il ressent d’un échec définitif. Le récit de ses vicissitudes, fait par lui-même au jour le jour, nous résume l’évolution de l’Italie au cours de cette crise : nous la voyons descendre de l’arrogance à la bassesse, en ces quelques semaines de la marche triomphale de Charles VIII sur Rome ; et les changemens de front de l’envoyé du Pape reflètent les états d’âme successifs de tous les tyranneaux et des seigneuries républicaines de la Péninsule, mettant à nu leurs craintes, leurs espérances, leurs ambitions, leurs rivalités, leurs roueries ; et nous sommes forcés de reconnaître que tous ces Italiens, réputés si profonds, n’avaient en somme qu’une piètre politique au jour le jour.

Tout d’abord, emporté par sa fureur contre le Roi, le Pape voulait l’excommunier.

Mais, peu à peu, la colère fait place à la peur, l’artillerie de France, qui est l’épouvante des Italiens, lui paraît plus immédiatement redoutable que les foudres de l’Eglise, et voilà l’indécision qui pénètre son esprit ; il semble qu’il commence peut-être à sentir qu’il s’est trop nettement prononcé pour la maison d’Aragon contre les droits du Roi de France, et que le premier péril à conjurer est celui qui menace ses Etats et sa tiare.

Et, dans ces nouvelles salles du Vatican qu’il vient de faire splendidement décorer pour sa résidence, sous les portraits de sa fille Lucrèce en sainte Catherine et de sa maîtresse Giulia Farnèse en sainte Barbe, le Pape confère longuement avec le cardinal de Sienne sur le langage à tenir au Roi.

Une combinaison fixe un instant son esprit, c’est celle qu’a

  1. Ces lettres proviennent de la collection Podocataro, bibliothèque Saint-Marc, à Venise.