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Saint-Pierre-aux-Liens ; et cela était grave, car jusqu’alors, malgré les sinistres projets prêtés à Charles VIII de réunir un concile pour le déposer, le Pape avait pu paraître convaincu que la protection de Dieu ne lui manquerait pas, et, avec son éloquence persuasive, faire partager cette croyance aux Romains et même à ses cardinaux. Mais cette prise d’Ostie était une première atteinte à sa sécurité, la menace d’affamer Rome en coupant les arrivages par le Tibre ; ce n’était plus seulement sa tiare qui était en jeu, mais sa vie, à la merci d’une émeute produite par la famine ; et une grande crainte dut pénétrer son âme, en même temps qu’il donna cours à sa haine contre ce Julien, traître et vendu, cause de toutes ses inquiétudes, le maudissant avec d’autant plus de fureur qu’il se sentait impuissant à l’atteindre, sous la sauvegarde du Roi de France chez qui il s’était réfugié ; et il exhalait aussi sa colère contre les Colonna, et les Savelli, qui les avaient aidés à ce coup ; il donna ordre de rédiger immédiatement un bref à tous ces seigneurs pour les sommer de restituer immédiatement la citadelle, sous peine de voir leurs demeures détruites et leurs biens confisqués, puis il commanda à son chapelain Burckhardt de convoquer le Consistoire dès le lendemain matin, et de faire appeler le cardinal de Sienne qu’il voulait charger de se rendre immédiatement auprès du Roi de France pour protester contre cette injure d’Ostie, car il pensait bien que, pour une telle hardiesse, les Colonna avaient dû être inspirés par ceux de ses ennemis qui entouraient le Très-Chrétien.

Le lendemain vendredi, 19 septembre 1494, le Consistoire se réunit à six heures du matin, et dura jusqu’à trois heures après midi : « Il fut secret ; je ne sais donc pas ce qui s’y passa[1], » écrivit ce soir-là Burckhardt en son journal.

Malgré le silence de ce vieux chapelain bavard, fort contrarié, sans doute, de n’avoir pas pu, cette fois, écouter aux portes, il nous est facile de nous rendre compte de ce qui se passa dans cette longue séance, par les résultats que nous en connaissons : outre le bref aux Colonna, et l’organisation d’un corps de troupes, pour parer à la défense de Rome, on y décida l’envoi du cardinal de Sienne en ambassade extraordinaire au Roi de France.

Si on en juge par le temps qu’il mit à la préparer, et par la

  1. Diario de Burckhardt (1483-1506).