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quoique lointain, de cette extraordinaire existence, en suit les événemens au fil des jours, car c’est un besoin pour George Sand de se raconter à ses amis éprouvés : sans doute parce qu’ « à raconter ses maux souvent on les soulage, » mais aussi parce qu’elle est née conteuse, que sa vie est le roman même, et qu’entre son existence, à elle, et celle des romans qu’elle imagine, elle ne voit pas de différence essentielle. Et, de fait, il n’y en a pas.

Tous ces accidens domestiques la tiennent plus éloignée de Paris que de coutume. « J’ai un peu perdu l’air qui souffle sur Paris et sur le public. Je vis dans une coquille, » écrit-elle à Poncy, le 14 décembre 1847. Cependant, à Paris, les événemens se précipitaient. L’orage, longtemps couvé, menaçait d’éclater. C’était, en juillet 1847, la propagande réformiste des banquets ; puis le discours radical de Ledru-Rollin à Lille ; bientôt après, la retraite du maréchal Soult, et la présidence du Cabinet dévolue à Guizot. Dès le début de la session (28 décembre 1847), le discours du trône accuse « les passions aveugles ou ennemies. » Les événemens d’Italie surexcitent les passions réformistes. La discussion sur le droit de réunion, l’affaire du banquet du XIIe arrondissement, sont la première étincelle. Et tout à coup, le 9 mars 1848, Poncy reçoit une fulgurante lettre avec cette suscription : Au citoyen Charles Poncy :

« Vive la République !… on est fou, on est ivre, on est heureux de s’être endormi dans la fange, et de se réveiller dans les cieux ! » etc.[1]. Les temps sont accomplis. C’est la trompette de la révolution de Février.

Ressuscitée, galvanisée, George Sand est accourue auprès de ses amis, pour les seconder. C’est de Paris qu’elle envoie à son poète, — pardon ! au « citoyen » Poncy, — des lettres enflammées qui ressemblent à des Bulletins de la grande armée démocratique. Elle peut se mettre aujourd’hui à la fenêtre : que voit-elle dans la rue ? ses romans qui passent. Même elle y descendra un instant, pour se mêler aux rangs du peuple, et de la « sainte canaille. »


SAMUEL ROCHEBLAVE.

  1. Corresp., t. III, p. 9.