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formule ; même, s’il faut en croire George Sand, — un peu trop intéressée à cette interprétation, — elle le dépasse. Qu’est-ce à dire, sinon que rêve et réalité, vérité et poésie, apparaissent à cette heure de l’âme française comme magnifiquement confondus, et que nulle part ils ne se confondent en une plus pleine harmonie que dans le cœur, dans l’esprit, dans les romans de George Sand ? D’ailleurs, il faudrait se garder, dans les œuvres les plus étranges de cette période, de réduire la part de réalité qu’elles renferment. Ce serait leur méconnaître une valeur de « témoins » qu’elles ont à un très haut degré. George Sand, comme son maître Rousseau, est profondément imprégnée de la réalité ambiante quand elle écrit le Compagnon du Tour de France ; la Nouvelle Héloïse n’en est pas plus pénétrée. Et cette réalité même, ici comme là, est le ferment actif qui, déposé dans un cerveau naturellement idéaliste et dans une âme naturellement passionnée, y produit cet enfantement chaleureux et splendide qui est celui du pur amour.

D’ailleurs, l’exaltation tombée, reste la vue nette des choses. Dans ce passage, empreint du calme attendri qui est au fond la vraie George Sand, il est remarquable de voir avec quelle précision elle définit son espérance, même sa foi : « J’ai regardé comme certaine la possibilité d’un prolétaire égal par l’intelligence aux hommes des classes privilégiées, apportant au milieu d’eux les antiques vertus, et la force virtuelle de sa race. » Et la production rapide de ce prolétaire homme complet, spécimen parfait d’humanité future, fortifie sa foi en Dieu, en un Dieu qui n’est point simplement, — ce qu’on a trop dit, — le Dieu de Béranger et des bonnes gens. Patience, calme, croyance inébranlables, voilà ce qu’elle professe, ce qu’elle professera toujours. « Depuis longtemps j’ai appris à attendre. » Ce dont elle est sûre c’est que, lorsqu’on attend dans un certain état de ferveur, on n’attend pas en vain. Elle aussi, comme le vieil Homère, pense que les prières boiteuses des mortels atteignent un jour la divinité et l’inclinent vers nous ; et, sereine, elle attend, elle attendra toujours, parce qu’elle croit.

Poncy était-il donc supérieur à son Pierre Huguenin ? Elle affirme, il est vrai, que, quand les utopies se réalisent, c’est toujours « autrement, et mieux. » Mais ne comparons pas cet ouvrier déjà très frotté de littérature à un personnage de roman. Il était lui-même un composé sympathique et charmant tel que