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éprendre de la simplicité, de la candeur, de la beauté vraie. Vous voyez aussi loin que lui, et vous puisez vos joies, vos émotions, votre force dans un milieu plus réel et plus sain.

« Voilà comment les utopies se réalisent. C’est toujours autrement, et mieux. C’est là une magnifique preuve de Dieu, que nous pouvons constater à chaque phase de la vie de l’humanité quoique le vulgaire n’y prenne pas garde. Quelqu’un conçoit un idéal, on en rit, et on lui pardonne, en disant : C’est beau, mais trop beau. Puis les temps marchent, les faits s’accomplissent, et il arrive que l’idéal est dépassé. Les hommes alors comparent, et se retournent en souriant vers la prédiction. Ils s’étonnent de la trouver si timide, et pardonnent alors à son peu d’ampleur, à cause de la bonne intention : ce qui ne les empêche pas, les enfans qu’ils sont, de recommencer à railler toute prédiction nouvelle. Cela est vrai pour les plus grandes choses comme pour les plus petites. Mais quiconque regarde l’histoire intellectuelle et morale du genre humain arrive à un grand calme et à une foi inébranlables. Alors vient le courage de rêver tout haut, et c’est un courage qui demande plus d’humilité qu’on ne pense, car le croyant sait bien que son rêve sera pauvre et borné au prix de l’invention infinie du grand artiste qui réalise : Dieu ! J’en ai bien davantage à vous dire, sur vous et sur le temps où nous vivons ; mais je veux que vous receviez ma bénédiction maternelle, en recevant les caresses de votre femme et de votre enfant. L’heure passe ; je ferme ma lettre pour la reprendre bientôt. Donnez-leur un tendre baiser pour moi, et pour tous les miens. Je vous aime, mes enfans, je ne puis vous rien dire de mieux et de plus vrai. » (24 nov. 1845.)

Noble et tendre lettre, deux fois attachante, et par l’élévation des sentimens qu’elle respire, et par la pleine lumière qu’elle verse sur la conception même des romans socialistes de George Sand. L’amour du peuple, devenu chez elle passion, crée une émotion intellectuelle qui, à son tour, met en branle sa riche imagination et la lance sur les routes de l’humanité future, idéale. Elle anticipe cette félicité par les créations de son généreux cerveau ; ses personnages, rêvés, non réels (elle le confessa), marchent en avant de leur siècle, comme les modèles lumineux propres à éclairer les générations tâtonnantes : ce sont des annonciateurs plus que des hommes. Et voici que, le rêve à peine tracé dans l’infini devenir, la réalité tout à coup le