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bruyans et trop publics, Poncy serait-il encore son Poncy ? Enfin, le Paris corrupteur qu’elle détestait, qu’elle détesta toujours, n’allait-il pas le lui dépraver ? Toute sa bonté de maman s’atteste dans le billet de 100 francs qu’elle mit sous enveloppe pour lui faciliter le voyage, et tout son cœur dans les recommandations dont elle accompagne le billet. Elle lui traçait son itinéraire, détaillait les changemens de diligence, les correspondances, les arrêts. Elle l’attendrait à Nohant, à son retour de la capitale. Elle ajoutait, comme résignée : « Voyez donc Paris, puisque vous l’avez tant rêvé. Je crains pour vous une grande déception. Moi, je hais cette ville de boue et de vices. Mais enfin c’est la capitale du monde pour les arts et pour l’esprit. Adieu, et au revoir ! Bientôt, j’espère ! » (1er nov. 1845.)

Poncy roulait aussitôt vers Paris ; et, à Alfort, il tombait dans les bras de cinquante compagnons, ouvriers ou rédacteurs de la Ruche populaire, souscripteurs et admirateurs du poète maçon. L’épreuve redoutée par George Sand commençait.

Disons vite qu’elle se termina tout à l’honneur de Poncy.

Mais, au début, la manifestation faillit mal tourner. Un grand banquet attendait à Alfort notre poète. C’était déjà le cérémonial obligé : salle de restaurant, drapeaux, toasts. Vinçard le harangua. On s’était bien promis d’être sages, dignes et seulement « fraternels. » Mais les têtes peu à peu s’échauffèrent. « On récrimina contre la bourgeoisie, le veau d’or, les habits noirs. Et, renchérissant encore, un orateur, mouchard ou imbécile, s’écria : « Marchons sur Paris ! enlevons-le d’assaut[1] ! » Tumulte. Le commissaire obligea le président à dissoudre la séance, et interdit le banquet qui devait avoir lieu le soir même.

On le vit alors dans les salons, comme Reboul. Comme Reboul, il fut reçu par Béranger, par Lamennais, par Alfred de Vigny, Sainte-Beuve, Lamartine, Etienne Arago, etc. Et, comme Reboul, il se fatigua vite d’être exhibé comme un phénomène. Le maçon de Toulon regrettait la truelle comme le boulanger de Nîmes avait la nostalgie de sa boutique. Cependant, bien lui en prit, dans une circonstance qu’il contait volontiers plus tard, de savoir gâcher du plâtre. Le Méridional grelottait dans son

  1. Eug. Baillet, De quelques ouvriers-poètes, p. 104.