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répond à une voix d’en bas[1]. Fierté à rebours que cette véhémente revendication plébéienne chez l’arrière-petite-fille de Maurice de Saxe, soit ! « confidences horribles et inutiles ! » s’écriera Solange, qui balafrera cette lettre d’un crayon irrité[2]. Solange s’exprime souvent en personne un peu trop sûre d’avoir recueilli dans ses veines tout le sang bleu de la famille. Horribles à ses yeux, ces confidences sur la fille du marchand d’oiseaux peuvent paraître très attachantes à des yeux moins filiaux. Quant à leur utilité, elle est péremptoire pour ceux qui cherchent à pénétrer l’âme passionnée de l’amie de Leroux, de la future collaboratrice de Ledru-Rollin. Et puis, tout cela devait demeurer secret entre elle, et Poncy. « Ne montrez ces lettres à personne ! » lui recommande-t-elle à tout instant. Et Poncy fut fidèle, en ceci comme en tout le reste. C’est cette condition du secret qui explique les jugemens très libres de George Sand sur les hommes et les choses de ces années d’attente. Et, l’un corrigeant l’autre, elle autorisait les mercuriales qu’elle devait parfois infliger à son « enfant » par des sévérités non moins justes qui tombaient à plomb sur ses contemporains les plus notoires.

On en jugera par ces extraits d’une lettre qui ne compte pas moins de quatorze pages serrées :

« Mon enfant, ne vous fâchez pas après nous, et croyez que nous faisons tout ce qui nous est possible… Nous ne regrettons pas notre peine, si vous ne nous en voulez pas trop. Je ne sais pas si M. Jourdan vous annonce toutes les petites modifications que nous nous permettons. Je vous déclare, bien que vous ayez pensé le contraire, qu’il est beaucoup plus sévère que moi. Mais peut-on l’être trop, quand on est en même temps respectueux et enthousiaste admirateur ? Si vous ne vous fiez point à nous deux, et si votre orgueil vous fait regretter de mauvaises choses justement sacrifiées, vous ne vous fierez à personne, et vous caresserez vos défauts avec amour comme les maîtres de l’école romantique. Il leur en cuit, et il vous en cuira, à moins que vous ne soyez entouré de flatteurs aveugles, qui vous brûlent sous le nez un encens grossier en vous persuadant que vous ne pouvez faillir. La vanité est l’ennemi intérieur que les poètes portent en

  1. Une voix d’en bas, titre du premier recueil de vers de Savinien Lapointe 1844.
  2. Les lettres de George Sand à Poncy ont longtemps été entre les mains de Solange avant de passer dans les nôtres.