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admiré, et sa folie me fait grand’peine, ainsi qu’à bien d’autres, et à Béranger tout le premier. » (Paris, 7 mai 1843, deux mois après les Burgraves.)

Éperonné et tenu en main de la sorte, le facile Poncy donne maintenant tout son effort. Dix-huit mois s’écoulent, dans le labeur intelligent et bienfaisant ; il obtient toute la maturité dont sa nature poétique est capable. Il aime, il étudie, il s’enthousiasme, il pleure aussi. Car la douleur le visite, et son âme sensible est atteinte par la mort presque simultanée de sa mère et de son premier enfant. Bientôt une autre espérance lui sourit ; et George Sand, avant que le second enfant soit au monde, lui demande de donner à cet enfant le nom de l’un des siens. Ce fut une fille : Solange fut son nom, et sa marraine fut Solange Sand.

Les poèmes du Chantier, qui parurent en volume en 1844, trahissent l’impulsion vigoureuse qui partait de Nohant. Non seulement les idées, mais les sujets parfois (Vérité et Réalité), le ton général, çà et là l’éloquence véritable, relèvent de cet idéal humanitaire que George Sand soufflait à Poncy avec sa tendresse. Il y a de beaux élans dans la pièce intitulée Aspiration. Dans l’Union, un chaleureux appel à la concorde des peuples :


Mes frères, il est temps que les haines s’oublient,
Que sous un seul drapeau les peuples se rallient ;
Le chemin du salut va pour nous s’aplanir :
La grande liberté que l’humanité rêve,
Comme un nouveau soleil, radieuse se lève
Sur l’horizon de l’avenir.

Afin que ce soleil de clartés nous inonde,
Afin que chaque jour son feu divin féconde
Nos cœurs, où l’Éternel sema la vérité,
Il nous faut achever l’œuvre que Dieu commence ;
Il faut que nos sueurs et notre amour immense
Enfantent la fraternité.


D’autres morceaux, Byron à Albano, Une nuit sur l’Atlas, visent au poème, ou à la méditation, et y atteignent presque. Poncy est dans le Chantier sensiblement au-dessus de ses Marines ; mais, quoiqu’il n’ait que vingt-trois ans, il touche son zénith. Il n’ira pas plus haut ; voire il retombera. Mais cet essor appréciable suffit à George Sand. Il progresse, donc il montera toujours ! Et, dans sa joie, elle part en effusions prophétiques, elle transfigure son cher poète, sans se demander si, elle aussi,