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surtout des injures ou des dédains. Nul doute qu’une étude attentive et impartiale ne lui fasse sur ce point capital la juste part qui lui revient dans l’évolution générale des sentimens et des idées au cours du dernier siècle. Nul doute aussi que, — en attendant la suite du grand ouvrage de Vladimir Karénine, — George Sand n’apparaisse de plus en plus, à des yeux non prévenus, non point comme un reflet de certains hommes de son temps, mais comme un des foyers de son temps ; non pas comme un écho, mais comme une voix, une des grandes voix du XIXe siècle. La puissance de son appel, la répercussion profonde de son cri sont choses qui nous saisissent aujourd’hui d’étonnement, et qu’il serait vain d’expliquer par une vogue passagère : c’est bien, à certaines heures, une conscience qu’elle a donnée à l’inconscient, une âme à l’obscur instinct des foules, une étoile à la marche tâtonnante du peuple en quête non plus de pain et de travail seulement, mais de foi sociale, de bonheur et d’idéale fraternité.

Cette vertu cachée de puissance continue, cette force d’« élément, » mais d’un élément qui serait humain, on la trouve et on la capte en quelque sorte à sa source dans l’inépuisable correspondance de George Sand. Là elle s’est versée encore plus complètement que dans ses œuvres, quoique partout elle se soit « versée, » et que s’épancher fût en quelque sorte sa fonction naturelle. On en peut juger par ce qui a paru jusqu’ici de ses lettres, soit dans les six volumes publiés par son fils, soit par quelques correspondances particulières, telles que celle avec Flaubert. Encore ce qui a paru est-il peu de chose auprès de ce qui reste à paraître. Nous avons pu naguère, nous-même, à l’occasion d’une des correspondances inédites qui sont entre nos mains, faire la preuve, jusque dans sa famille, de cette constante sûreté de sa direction morale, de la bonté tonique de son perpétuel conseil[1]. Et il s’agissait là d’une fille aussi dissemblable que possible de la mère, et des conjonctures les plus délicates, où la mère la plus prévoyante, la plus expérimentée, peut elle-même, en dépit du génie, se trouver en défaut. Mais George Sand était cœur encore plus que génie. Et c’est ce cœur, dans ses lettres, qui guide sa plume, plus sûrement encore que son bon sens et sa raison, qui sont souvent eux-mêmes admirables. A

  1. George Sand et sa fille. Voyez la Revue des 15 février, 1er mars et 15 mai 1905.